Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/233

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servit de rien de le presser entre mes bras, et de lui donner des témoignages de ma tendresse ; il n’y parut pas sensible. Ma mère avait beau lui dire que j’étais son neveu Gil Blas, il m’envisageait d’un air imbécile sans répondre rien. Quand le sang et la reconnaissance ne m’auraient pas obligé à plaindre un oncle à qui je devais tant, je n’aurais pu m’en défendre en le voyant dans une situation si digne de pitié.

Pendant ce temps-là, Scipion gardait un morne silence, partageait mes peines, et confondait par amitié ses soupirs avec les miens. Comme je jugeai que ma mère, après une si longue absence, voudrait m’entretenir, et que la présence d’un homme qu’elle ne connaissait pas pourrait la gêner, je le tirai à part, et lui dis : Va, mon enfant, va te reposer à l’hôtellerie, et me laisse ici avec ma mère : nous allons avoir ensemble un entretien qui durera longtemps ; la bonne dame, si tu restais avec nous, te croirait peut-être de trop dans une conversation qui ne roulera que sur des affaires de famille. Scipion se retira de peur de nous contraindre ; et j’eus effectivement avec ma mère un entretien qui dura toute la nuit. Nous nous rendîmes mutuellement un compte fidèle de ce qui nous était arrivé à l’un et à l’autre depuis ma sortie d’Oviedo. Elle me fit un ample détail des chagrins qu’elle avait essuyés dans des maisons où elle avait été duègne, et me dit là-dessus une infinité de choses que je n’aurais pas été bien aise que mon secrétaire eût entendues, quoique je n’eusse rien de caché pour lui. Avec tout le respect que je dois à la mémoire de ma mère, la dame était un peu prolixe dans ses récits ; elle m’aurait fait grâce des trois quarts de son histoire, si elle en eût supprimé les circonstances inutiles.

Elle finit enfin sa narration, et je commençai la mienne. Je passai légèrement sur toutes mes aventures ; mais lorsque je parlai de la visite que le fils de Bertrand Muscada, épicier d’Oviedo, m’était venu faire à Madrid,