Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/259

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Vous me direz tout ce qu’il vous plaira, me repartit le gouverneur ; je n’aime pas que la caisse du couvent soit entre les mains de ce père Hilaire, dont je ne puis m’empêcher de me défier. Quand je me souviens de ce beau récit qu’il nous fit de ses aventures, je tremble pour les chartreux. Je veux croire avec vous qu’il a pris le froc de très bonne foi ; mais la vue de l’or peut réveiller sa cupidité. Il ne faut pas mettre dans une cave un ivrogne qui a renoncé au vin.

La défiance de don Alphonse fut pleinement justifiée peu de jours après : le père procureur et le frère portier disparurent avec la caisse. Cette nouvelle, qui se répandit aussitôt dans la ville, ne manqua pas d’égayer les railleurs, qui se réjouissent toujours du mal qui arrive aux moines rentés. Pour le gouverneur et moi, nous plaignîmes les chartreux, sans nous vanter de connaître les deux apostats.


CHAPITRE VII

Gil Blas retourne à son château de Lirias ; de la nouvelle agréable que Scipion lui apprit, et de la réforme qu’ils firent dans leur domestique.


Je passai huit jours à Valence dans le grand monde, vivant comme les comtes et les marquis. Spectacles, bals, concerts, festins, conversations avec les dames, tous ces amusements me furent procurés par monsieur et par madame la gouvernante, auxquels je fis si bien ma cour, qu’ils me virent à regret partir pour m’en retourner à Lirias. Ils m’obligèrent même auparavant de leur promettre de me partager entre eux et ma solitude. Il fut arrêté que je demeurerais pendant l’hiver à Valence, et pendant l’été dans mon château. Après cette convention, mes bienfaiteurs me laissèrent la liberté de les quitter pour aller jouir de leurs bienfaits.