Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/27

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demandant ce qu’on disait de lui dans le monde, et si l’on était satisfait de son dernier discours. Je répondis qu’on admirait toujours ses homélies, mais qu’il me semblait que la dernière n’avait pas si bien que les autres affecté l’auditoire. Comment donc, mon ami, répliqua-t-il avec étonnement, aurait-elle trouvé quelque Aristarque ? Non, Monseigneur, lui repartis-je, non. Ce ne sont pas des ouvrages tels que les vôtres, que l’on ose critiquer : il n’y a personne qui n’en soit charmé. Néanmoins, puisque vous m’avez recommandé d’être franc et sincère, je prendrai la liberté de vous dire que votre dernier discours ne me paraît pas tout à fait de la force des précédents. Ne pensez-vous pas cela comme moi ?

Ces paroles firent pâlir mon maître, qui me dit avec un souris forcé : Monsieur Gil Blas, cette pièce n’est donc pas de votre goût ? Je ne dis pas cela, Monseigneur, interrompis-je tout déconcerté. Je la trouve excellente, quoiqu’on peu au-dessous de vos autres ouvrages. Je vous entends, répliqua-t-il. Je vous parais baisser, n’est-ce pas ? Tranchez le mot. Vous croyez qu’il est temps que je songe à la retraite ? Je n’aurais pas été assez hardi, lui dis-je, pour vous parler si librement, si Votre Grandeur ne me l’eût ordonné. Je ne fais donc que lui obéir, et je la supplie très humblement de ne me point savoir mauvais gré de ma hardiesse. À Dieu ne plaise, interrompit-il avec précipitation, à Dieu ne plaise que je vous la reproche ! Il faudrait que je fusse bien injuste. Je ne trouve point du tout mauvais que vous me disiez votre sentiment. C’est votre sentiment seul que je trouve mauvais. J’ai été furieusement la dupe de votre intelligence bornée.

Quoique démonté, je voulus chercher une modification pour rajuster les choses ; mais le moyen d’apaiser un auteur irrité, et de plus un auteur accoutumé à s’entendre louer ! N’en parlons plus, dit-il, mon enfant. Vous êtes encore trop jeune pour démêler le vrai du