Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/285

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dans son ermitage : vous pouvez dès à présent avoir la conscience en repos là-dessus. C’était, je vous l’avoue, de quoi je ne m’inquiétais guère. Le curé, qui avait son dessein, n’en demeura pas là. Mon enfant, poursuivit-il, je veux m’intéresser pour vous, et vous procurer une bonne condition. Je vous enverrai dès demain, par un muletier, à mon neveu le chanoine de la cathédrale de Tolède. Il ne refusera pas, à ma prière, de vous recevoir au nombre de ses laquais, qui sont chez lui comme autant de bénéficiers qui vivent grassement du revenu de sa prébende : vous serez là parfaitement bien ; c’est une chose dont je puis vous assurer.

Cette assurance fut si consolante pour moi, que je ne songeai plus ni à mon sac, ni aux coups de fouet que j’avais reçus. Je ne m’occupai l’esprit que du plaisir de vivre en bénéficier. Le jour suivant, tandis qu’on me faisait déjeuner, il arriva, selon les ordres du curé, un muletier au presbytère, avec deux mules bâtées et bridées. On m’aida à monter sur l’une, le muletier s’élança sur l’autre, et nous prîmes la route de Tolède. Mon compagnon de voyage était un homme de belle humeur, et qui ne demandait qu’à se réjouir aux dépens du prochain. Mon petit cadet, me dit-il, vous avez un bon ami dans monsieur le curé de Galves. Il vous le fait bien voir. Il ne pouvait vous donner une meilleure preuve de son affection que de vous placer auprès de son neveu le chanoine, que j’ai l’honneur de connaître, et qui sans contredit est la perle de son chapitre. Ce n’est point un de ces dévots dont le visage pâle et maigre prêche la mortification ; c’est une grosse face, un teint fleuri, une mine réjouie, un vivant qui ne se refuse point au plaisir qui se présente, et qui surtout aime la bonne chère. Vous serez dans sa maison comme un petit coq en pâte.

Le bourreau de muletier, s’apercevant que je l’écoutais avec une grande satisfaction, continua de me vanter le bonheur dont je jouirais quand je serais valet du