Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/291

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bien, aller gîter. J’arrivai à la porte de l’archevêché ; et, comme on travaillait alors au souper de monseigneur, il sortait des cuisines une agréable odeur qui se faisait sentir d’une lieue à la ronde. Peste ! dis-je en moi-même, je m’accommoderais volontiers de quelqu’un de ces ragoûts qui prennent au nez ; je me contenterais même, d’y tremper les quatre doigts et le pouce. Mais quoi ! ne puis-je imaginer un moyen de goûter de ces bonnes viandes dont je ne fais que humer la fumée ? Pourquoi non ? cela ne paraît pas impossible. Je m’échauffai l’imagination là-dessus ; et, à force de rêver, il me vint dans l’esprit une ruse que j’employai sur-le-champ, et qui réussit. J’entrai dans la cour du palais archiépiscopal, en courant vers les cuisines, et en criant de toute ma force : Au secours ! au secours ! comme si quelqu’un m’eût poursuivi pour m’assassiner.

À mes cris redoublés, maître Diego, le cuisinier de l’archevêque, accourut avec trois ou quatre marmitons pour en savoir la cause ; et, ne voyant personne que moi, il me demanda pour quel sujet je criais si fort. Ah ! Seigneur, lui répondis-je en faisant toutes les démonstrations d’un homme épouvanté, par saint Polycarpe ! sauvez-moi, je vous prie, de la fureur d’un spadassin qui veut me tuer. Où est-il donc ce spadassin ? s’écria Diego. Vous êtes tout seul de votre compagnie, et je ne vois pas un chat à vos trousses. Allez, mon enfant, rassurez-vous : c’est apparemment quelqu’un qui a voulu vous faire peur pour se divertir, et qui a bien fait de ne pas vous suivre dans ce palais, car nous lui aurions pour le moins coupé les oreilles. Non, non, dis-je au cuisinier, ce n’est pas pour rire qu’il m’a poursuivi. C’est un grand pendard qui voulait me dépouiller, je suis sûr qu’il m’attend dans la rue. Il vous y attendra donc longtemps, reprit-il, puisque vous demeurerez ici jusqu’à demain. Vous y souperez et coucherez avec nos marmitons, qui vous feront faire bonne chère.

Je fus transporté de joie quand j’entendis ces der-