Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/380

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tement, Helena et moi, de peur que la fortune ne nous séparât encore par quelque nouvelle traverse. Mais ce mariage se fit sans éclat, à cause de la mort trop récente de don Blas ; et peu de jours après je revins à Madrid avec doña Helena. Comme j’avais passé le temps prescrit par le comte-duc pour mon voyage, je craignais que ce ministre n’eût donné à un autre la lieutenance qu’il m’avait promise ; mais il n’en avait point disposé, et il eut la bonté de recevoir les excuses que je lui fis de mon retardement.

Je suis donc, poursuivit Cogollos, lieutenant de la garde espagnole, et j’ai de l’agrément dans mon poste. J’ai fait des amis d’un commerce agréable, et je vis content avec eux. Je voudrais pouvoir en dire autant, s’écria don André ; mais je suis bien éloigné d’être satisfait de mon sort : j’ai perdu mon emploi, qui ne laissait pas de m’être fort utile, et je n’ai point d’amis qui aient assez de crédit pour m’en procurer un solide. Pardonnez-moi, seigneur don André, interrompis-je en souriant, vous avez en moi un ami qui peut vous être bon à quelque chose. Je vous ai déjà dit que je suis encore plus aimé du comte-duc que je ne l’étais du duc de Lerme, et vous osez me dire en face que vous n’avez personne qui puisse vous faire obtenir un solide emploi ! Ne vous ai-je pas rendu déjà un pareil service ? Souvenez-vous que, par le crédit de l’archevêque de Grenade, je vous fis nommer pour aller remplir au Mexique un poste où vous auriez fait votre fortune, si l’amour ne vous eût point arrêté dans la ville d’Alicante. Je suis bien plus en état de vous servir présentement que j’ai l’oreille du premier ministre. Je m’abandonne donc à vous, répliqua Tordesillas ; mais, ajouta-t-il en souriant à son tour, ne m’envoyez pas, de grâce, à la Nouvelle-Espagne ; je n’y voudrais point aller, quand on m’y voudrait faire président de l’Audience[1] même du Mexique.

  1. L’Audience, cour supérieure de justice et de police.