Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/403

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beaux jours. Le roi fut touché de la retraite inopinée de Lucrèce ; mais ce jeune prince, n’étant pas d’humeur à s’affliger longtemps, s’en consola peu à peu. Pour le comte-duc, quoiqu’il ne parût guère sensible à cet incident, il ne laissa pas d’en être très mortifié ; ce que le lecteur n’aura pas de peine à croire.


CHAPITRE IV

Du nouvel emploi que donna le ministre à Santillane.


Je sentis aussi très vivement le malheur de Lucrèce : et j’eus tant de remords d’y avoir contribué, que, me regardant comme un infâme, malgré la qualité de l’amant dont j’avais servi les amours, je résolus d’abandonner pour jamais le caducée : je témoignai même au ministre la répugnance que j’avais à le porter, et je le priai de m’employer à toute autre chose. Il parut étonné de ma vertu. Santillane, me dit-il, ta délicatesse me charme ; et, puisque tu es un si honnête garçon, je veux te donner une occupation plus convenable à ta sagesse. Voici ce que c’est : écoute attentivement la confidence que je vais te faire.

Quelques années avant que je fusse en faveur, continua-t-il, le hasard offrit un jour à ma vue une dame qui me parut si bien faite et si belle, que je la fis suivre. J’appris que c’était une Génoise, nommée doña Margarita Spinola, qui vivait à Madrid du revenu de sa beauté : on me dit même que don Francisco de Valeasar, alcade de cour, homme riche, vieux et marié, faisait pour cette coquette une dépense considérable. Ce rapport, qui n’aurait dû m’inspirer que du mépris pour elle, me fit concevoir un désir violent de partager ses bonnes grâces avec Valeasar. J’eus cette fantaisie ; et,