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CHAPITRE IX

De la révolution de Portugal, et de la disgrâce du comte-duc.


Peu de jours après le retour du roi, il se répandit à Madrid une fâcheuse nouvelle : on apprit que les Portugais, regardant la révolte des Catalans comme une belle occasion que la fortune leur offrait de secouer le joug espagnol, s’en étaient saisis : qu’ils avaient pris les armes, et choisi pour leur roi le duc de Bragance ; qu’ils étaient dans la résolution de le maintenir sur le trône, et qu’ils comptaient bien de n’en pas avoir le démenti, l’Espagne ayant alors sur les bras des ennemis en Allemagne, en Italie, en Flandre et en Catalogne. Ils ne pouvaient effectivement trouver une conjoncture plus favorable pour s’affranchir d’une domination qu’ils détestaient.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que le comte-duc, dans le temps que la cour et la ville paraissaient consternés de cette nouvelle, en voulut plaisanter avec le roi aux dépens du duc de Bragance ; mais les traits railleurs déplacés tournent ordinairement contre ceux qui les ont lancés. Philippe, bien loin de se prêter à ses mauvaises plaisanteries, prit un air sérieux qui le déconcerta et lui fit pressentir sa disgrâce. Ce ministre ne douta plus de sa chute, quand il apprit que la reine s’était ouvertement déclarée contre lui, et qu’elle l’accusait hautement d’avoir, par sa mauvaise administration, causé la révolte du Portugal. La plupart des grands, et surtout ceux qui avaient été à Saragosse, ne s’aperçurent pas plus tôt qu’il se formait un orage sur la tête du comte-duc, qu’ils se joignirent à la reine, et, ce qui porta le dernier coup à sa faveur, c’est que la duchesse douairière de Mantoue, ci-devant gouver-