Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

railles, Mme  d’Olivarès nous fit lire le testament, dont tous les domestiques eurent sujet d’être satisfaits. Chacun avait un legs proportionné à la place qu’il occupait, et le moindre legs était de deux mille écus : le mien était le plus considérable de tous ; monseigneur me laissait dix mille pistoles, pour marquer l’affection singulière qu’il avait eue pour moi. Il n’oublia pas les hôpitaux, et fonda des services annuels dans plusieurs couvents.

Mme  d’Olivarès renvoya tous les domestiques à Madrid toucher leurs legs chez l’intendant don Raimond Caporis, qui avait ordre de les leur délivrer ; mais je ne pus partir avec eux : une grosse fièvre, fruit de mon affliction, me retint au château sept à huit jours. Pendant ce temps-là, le père de Saint-Dominique ne m’abandonna point. Ce bon religieux m’avait pris en amitié ; et, s’intéressant à mon salut, il me demanda, quand il me vit convalescent, ce que je voulais devenir. Je n’en sais rien, lui répondis-je, mon révérend père ; je ne suis point encore d’accord avec moi-même là-dessus : il y a des moments où je suis tenté de m’enfermer dans une cellule pour y faire pénitence. Moments précieux ! s’écria le dominicain ; seigneur de Santillane, vous feriez bien d’en profiter. Je vous conseille en ami, sans que vous cessiez pour cela d’être séculier, de vous retirer dans notre couvent de Madrid, par exemple ; de vous en rendre bienfaiteur par une donation de tous vos biens, et d’y mourir sous l’habit de Saint-Dominique. Il y a bien des personnes qui expient une vie mondaine par une pareille fin.

Dans la disposition où était mon esprit, le conseil du religieux ne me révolta point, et je répondis à Sa Révérence que je ferais sur cela mes réflexions. Mais ayant consulté là-dessus Scipion, que je vis un moment après le moine, il s’éleva contre cette pensée, qui lui parut une idée de malade. Fi donc ! seigneur de Santillane, me dit-il, une semblable retraite peut-elle vous