Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/43

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soit que je fusse entraînée par la force de mon étoile qui m’y préparait une meilleure fortune, je ne songeai plus qu’à revoir l’Espagne. Je m’adressai à un joaillier qui me compta la valeur de mon brillant en espèces d’or, et je partis avec une vieille dame espagnole qui allait à Séville dans une chaise roulante.

Cette dame, qui s’appelait Dorothée, revenait de voir une de ses parentes établie à Coïmbre, et s’en retournait à Séville où elle faisait sa résidence. Il se trouva tant de sympathie entre elle et moi, que nous nous attachâmes l’une à l’autre dès la première journée ; et notre liaison se fortifia si bien sur la route, que la dame ne voulut point, à notre arrivée, que je logeasse ailleurs que dans sa maison. Je n’eus pas sujet de me repentir d’avoir fait une pareille connaissance. Je n’ai jamais vu de femme d’un meilleur caractère. On jugeait encore à ses traits et à la vivacité de ses yeux, qu’elle devait avoir fait racler bien des guitares. Aussi était-elle veuve de plusieurs maris de noble race, et vivait honorablement de ses douaires.

Entre autres excellentes qualités, elle avait celle d’être très compatissante aux malheurs des filles. Quand je lui fis confidence des miens, elle entra si chaudement dans mes intérêts, qu’elle donna mille malédictions à Zendono. Les chiens d’hommes ! dit-elle d’un ton à faire juger qu’elle avait rencontré en son chemin quelque économe : les misérables ! il y a comme cela dans le monde des fripons qui se font un jeu de tromper les femmes. Ce qui me console, ma chère enfant, continua-t-elle, c’est que, suivant votre récit, vous n’êtes nullement liée au parjure Biscayen. Si votre mariage avec lui est assez bon pour vous servir d’excuse, en récompense il est assez mauvais pour vous permettre d’en contracter un meilleur, quand vous en trouverez l’occasion.

Je sortais tous les jours avec Dorothée pour aller à l’église, ou bien en visites d’amis ; c’était le moyen