Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/435

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dis-je, vont à merveille ; je souhaite que les miennes ne soient pas dans un plus mauvais état. Elles vont aussi le mieux du monde, me répondit-il ; je n’ai pas été à la peine d’employer l’autorité pour avoir le consentement de Dorothée : votre personne lui revient, et vos manières lui plaisent. Vous appréhendiez de n’être pas de son goût, et elle craint, avec plus de raison, que n’ayant à vous offrir que son cœur et sa main… Que voudrais-je de plus ? interrompis-je tout transporté de joie. Puisque la charmante Dorothée n’a point de répugnance à lier son sort au mien, c’est tout ce que je demande : je suis assez riche pour l’épouser sans dot, et sa seule possession comblera tous mes vœux.

Don Juan et moi, fort satisfaits d’avoir heureusement amené les choses jusque-là, nous résolûmes, pour hâter nos noces, d’en supprimer les cérémonies superflues. J’abouchai ce gentilhomme avec les parents de Séraphine ; et, après qu’ils furent convenus des conditions du mariage, il prit congé de nous, en nous promettant de revenir le lendemain avec Dorothée. L’envie que j’avais de paraître agréable à cette dame me fit employer trois bonnes heures pour le moins à m’ajuster, à m’adoniser ; encore ne pus-je parvenir à me rendre content de ma personne. Pour un adolescent, qui se prépare à voir sa maîtresse, ce n’est qu’un plaisir ; mais pour un homme qui commence à vieillir, c’est une occupation. Cependant je fus plus heureux que je ne le méritais. Je revis la sœur de don Juan, et j’en fus regardé d’un œil si favorable, que je m’imaginai valoir encore quelque chose. J’eus avec elle un long entretien. Je fus charmé du caractère de son esprit, et je jugeai qu’avec de bonnes façons et beaucoup de complaisance je deviendrais un époux chéri. Plein d’une si douce espérance, j’envoyai chercher deux notaires à Valence, qui firent le contrat de mariage ; puis nous eûmes recours au curé de Paterna, qui vint à Lirias, et nous maria, don Juan et moi, à nos maîtresses.