Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/45

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et le lieu ne nous permettant pas de nous répandre en de longs discours, nous remîmes au lendemain à nous entretenir chez elle plus amplement.

Le plaisir de parler est une des plus vives passions des femmes, et particulièrement la mienne. Je ne pus fermer l’œil de toute la nuit, tant j’avais envie d’être aux prises avec Phénice et de lui faire questions sur questions. Dieu sait si je fus paresseuse à me lever pour me rendre où elle m’avait enseigné qu’elle demeurait ! Elle était logée avec toute la troupe dans un grand hôtel garni. Une servante que je rencontrai en entrant, et que je priai de me conduire à l’appartement de Phénice, me fit monter a un corridor, le long duquel régnaient dix à douze petites chambres, séparées seulement par des cloisons de sapin et occupées par la bande joyeuse. Ma conductrice frappa à une porte que Phénice, à qui la langue démangeait autant qu’à moi, vint ouvrir. À peine nous donnâmes-nous le temps de nous asseoir pour caqueter. Nous voilà en train d’en découdre. Nous avions à nous interroger sur tant de choses, que les demandes se succédaient avec une volubilité surprenante.

Après avoir raconté nos aventures de part et d’autre et nous être instruites de l’état présent de nos affaires, Phénice me demanda quel parti je voulais prendre ; car enfin, me dit-elle, il faut bien faire quelque chose : il n’est pas permis à une personne de ton âge d’être inutile dans la société. Je lui répondis que j’avais résolu, en attendant mieux, de me placer auprès de quelque fille de qualité. Fi donc ! s’écria mon amie, tu n’y penses pas. Est-il possible, ma mignonne, que tu ne sois pas encore dégoûtée de la servitude ? N’es-tu pas lasse de te voir soumise aux volontés des autres, de respecter leurs caprices, de t’entendre gronder, en un mot d’être esclave ? Que n’embrasses-tu plutôt, à mon exemple, la vie comique ? Rien n’est plus convenable aux personnes d’esprit qui manquent de bien et de