Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/6

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La dame m’agaça longtemps par des regards où son amour était peint ; mais, au lieu de répondre à ses œillades, je fis d’abord semblant de ne pas m’apercevoir de son dessein. Par là je lui parus un galant tout neuf ; ce qui ne lui déplut point. S’imaginant donc ne devoir pas s’en tenir au langage des yeux avec un jeune homme qu’elle croyait moins éclairé qu’il ne l’était, dès le premier entretien que nous eûmes ensemble elle me déclara ses sentiments en termes formels, afin que je n’en ignorasse. Elle s’y prit en femme qui avait de l’école : elle feignit d’être déconcertée en me parlant ; et, après m’avoir dit à bon compte tout ce qu’elle voulait me dire, elle se cacha le visage, pour me faire croire qu’elle avait honte de me laisser voir sa faiblesse. Il fallut bien me rendre ; et, quoique la vanité me déterminât plus que le sentiment, je me montrai fort sensible à ses marques d’affection. J’affectai même d’être pressant, et je fis si bien le passionné, que je m’attirai des reproches. Lorença me reprit avec tant de douceur, qu’en me recommandant d’avoir de la retenue elle ne paraissait pas fâchée que j’en eusse manqué. J’aurais poussé les choses encore plus loin, si l’objet aimé n’eût pas craint de me donner mauvaise opinion de sa vertu, en m’accordant une victoire trop facile. Ainsi nous nous séparâmes jusqu’à une nouvelle entrevue ; Séphora persuadée que sa fausse résistance la faisait passer pour une vestale dans mon esprit, et moi, plein de la douce espérance de mettre bientôt cette aventure à fin.

Mes affaires étaient dans cette heureuse disposition, lorsqu’un laquais de don César m’apprit une nouvelle qui modéra ma joie. Ce garçon était un de ces domestiques curieux qui s’appliquent à découvrir ce qui se passe dans une maison. Comme il me faisait assidûment sa cour, et qu’il me régalait de quelque nouveauté tous les jours, il me vint dire un matin qu’il avait fait une plaisante découverte ; qu’il voulait m’en faire part, à condition que je garderais le secret,