Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/62

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ne me l’a fait qu’à cause de la fraternité. Je voudrais, répliqua-t-elle, qu’il t’en fît de semblables chaque jour. Je ne puis te dire jusqu’à quel point tu m’es cher. Dès le premier instant que je t’ai vu, je me suis attachée à toi par un lien si fort, que le temps n’a pu le rompre. Lorsque je te perdis à Madrid, je ne désespérai pas de te retrouver et hier, en te revoyant, je te reçus comme un homme qui revenait à moi nécessairement. En un mot, mon ami, le ciel nous a destinés l’un pour l’autre. Tu seras mon mari, mais il faut nous enrichir auparavant. La prudence demande que nous commencions par là. Je veux avoir encore trois ou quatre galanteries pour te mettre à ton aise.

Je la remerciai poliment de la peine qu’elle voulait bien prendre pour moi, et nous nous engageâmes insensiblement dans un entretien qui dura jusqu’à midi. Alors je me retirai pour aller rendre compte à mon maître de la manière dont on avait reçu son présent. Quoique Laure ne m’eût point donné l’instruction là-dessus, je ne laissai pas de composer en chemin un beau compliment que je me proposais de faire de sa part ; mais ce fut autant de bien perdu. Car, lorsque j’arrivai à l’hôtel, on me dit que le marquis venait de sortir ; et il était décidé que je ne le reverrais plus, ainsi qu’on le peut lire dans le chapitre suivant.


CHAPITRE XI

De la nouvelle que Gil Blas apprit, et qui fut un coup de foudre pour lui.


Je me rendis a mon auberge, où, rencontrant deux hommes d’une agréable conversation, je dînai et demeurai à table avec eux jusqu’à l’heure de la comédie. Alors nous nous séparâmes. Ils allèrent à leurs affaires, et,