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Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/139

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et les mena se chauffer auprès d’un bon feu, car il y avait un mouton tout entier à la broche pour le souper de l’Ogre.

Comme ils commençaient à se réchauffer, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’était l’Ogre qui revenait. Aussitôt sa femme les fit cacher sous le lit, et alla ouvrir la porte. L’Ogre demanda d’abord si le souper était prêt et si on avait tiré du vin, et aussitôt il se mit à table. Le mouton était encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Il flairait à droite et à gauche, disant qu’il sentait la chair fraîche. « Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce veau, que je viens d’habiller[1], que vous sentiez. — Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre en regardant sa femme de travers ; et il y a ici quelque chose que je n’entends pas. » En disant ces mots, il se leva de table, et alla droit au lit.

« Ah ! dit-il, voilà donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sais à quoi il tient que je ne te mange aussi : bien t’en prend d’être une vieille bête. Voilà du gibier qui me vient à propos, pour traiter trois ogres de mes amis qui doivent me venir voir ces jours-ci. »

Il les tira de dessous le lit l’un après l’autre. Ces pauvres enfants se mirent à genoux, en lui demandant pardon ; mais ils avaient affaire au plus cruel de tous les ogres, qui, bien loin d’avoir de la pitié, les dévorait déjà des yeux, et disait à sa femme que ce seraient là de friands morceaux, lorsqu’elle leur aurait fait une bonne sauce.

Il alla prendre un grand couteau ; et, en approchant de

  1. Terme de cuisine, qui signifie préparer les viandes pour les accommoder en ragoût. Ce terme est employé ici pour préparer au jeu de mots qu’on verra plus tard.