Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/29

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personnifié, que disons-nous ? divinisé dans la Fée, c’est-à-dire dans l’influence surnaturelle qui présidait au sort natal, la divinité maîtresse du fruit du ventre, ventrière, comme l’appelaient naïvement et énergiquement nos pères : divinité familière qui paraissait au moment de l’accouchement, seule ou en compagnie de ses sœurs, d’accord ou brouillée avec elles, mêlant ses maléfices, si elle était mal disposée, aux bénéfices des fées favorables, et dont il s’agissait de se ménager à tout prix les bonnes grâces ou de conjurer la colère.

Cette influence décisive des fées sur la natalité, le sort natal, influence dont le théâtre est la chambre de l’accouchée, et qui sacre, dès son apparition à la vie, le nouveau-né pour le bonheur ou l’adversité, fait, au moyen âge, partie essentielle du credo de la superstition. On lit dans le roman de Lancelot du Lac : « Toutes les femmes sont appelées fées, qui savent des enchantements et des charmes, et qui connaissent le pouvoir de certaines paroles, la vertu des pierres et des herbes ; ce sont les fées qui donnent la richesse, la beauté et la jeunesse. »

Le pouvoir de la fée, s’il s’exerçait particulièrement ce jour-là, n’était pas borné au jour de la naissance ; sa faveur portait bonheur non seulement au berceau, mais au foyer. Les pauvres gens, qui savaient bien que leur hospitalité ne pouvait tenter ces gracieuses élégantes visiteuses, et qu’elles ne s’arrêtaient guère, pour y douer les princes au berceau, qu’à la porte des palais, avaient créé une fée à leur image et à leur usage, une bonne commère, point fière au petit monde, qui apportait, dit Guillaume de Paris, l’abondance au logis quelle fréquentait, et qu’ils appelaient Dame Abonde.

Il n’en est pas question et on ne la rencontre pas dans les poèmes romanesques, chevaleresques, d’inspiration toute aristocratique, du moyen âge, où les fées et la féerie jouent un si grand rôle, et où le merveilleux païen survit à la conquête et au triomphe du christianisme. Ce sont des poètes chrétiens qui nous montrent les fées favorisant certains châteaux, s’attachant à certaines familles, comme la fée Mélusine, qui a adopté les Lusignan, présidant à la naissance des paladins illustres, et s’humanisant souvent jusqu’à nouer, avec les héros légendaires, des amours passagères ou même de durables et fécondes unions. Nous en citerons tout à l’heure plus d’un exemple, mais ce ne sera point sans avoir insisté sur ce carac-