Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/350

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Tarare vit bien qu’elle s’en désespérait, et n’en était pas moins désespéré. Dentue, s’étant aperçue que la pauvre fille pleurait, leva sa grande dent, et la regardant de travers : « Malheureuse ! dit-elle, oses-tu bien servir de si mauvaise grâce celui qui dans deux jours sera ton mari, au lieu de remercier le ciel d’être au fils de Dentue, et de posséder un tel époux ? »

Tarare ne put s’empêcher de tressaillir à ces paroles : la sorcière leva la tête à ce bruit ; et lui, descendant au plus vite de peur d’être surpris, regagna le petit bocage du mieux qu’il put. Il y passa le reste de la nuit à songer à ce qu’il venait de voir, et a méditer son entreprise.

Le matin suivant ramena la belle fille au bord du ruisseau. Elle y revint avec tous ses charmes, toute sa douleur, et, par-dessus tout cela, avec de vilains habits crasseux et du linge fort sale, qu’elle se mit à laver en pleurant de tout son cœur.

Cette seconde vue au bord du même ruisseau augmenta la compassion qu’il avait eue pour elle, et lui fit sentir qu’il aurait bientôt besoin de la sienne. Elle était penchée vers le ruisseau en lavant ces vilaines hardes ; elle paraissait d’un désespoir à s’y précipiter, s’il y eût eu de quoi la noyer. La posture où elle était laissa voir à Tarare la gorge du monde la mieux formée ; il en loua le ciel, sans oser pourtant se flatter qu’elle lui serait jamais de rien.

Il crut qu’il était temps de se découvrir à elle ; mais, avant que de lui parler, il voulut attirer son attention ; et, tirant une flûte de sa poche, il se mit à jouer un air assez touchant. Il ne peignait pas la moitié si bien qu’il jouait de la flûte, et c’est tout dire.