Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/385

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dispenser de guérir tous ceux qu’elle avait blessés. Le nombre en était grand ; mais, comme l’effet du remède était prompt, il les eut bientôt expédiés. Tout retentissait d’acclamations et, de cris d’allégresse ; et dans une joie si universelle, il n’y avait que la seule Fleur d’Épine de malheureuse.

Le bruit de l’arrivée de Tarare étant parvenu chez la sénéchale, elle se hâta d’en informer Fleur d’Épine ; et cette nouvelle, qui dans un autre temps aurait mis le comble à sa joie, pensa la désespérer. Elle croyait toujours que sa cruelle rivale et sa confidente étaient touchées de son malheur : elle se mit à genoux devant elles, pour les conjurer que Tarare ne la vît point dans l’état où elle était. Elles lui en donnèrent leur parole ; mais elles lui dirent qu’elle ne pouvait se défendre de recevoir la visite du calife, qui, dès qu’il avait recouvré la vue, avait voulu contenter sa curiosité sur une personne qu’on lui avait peinte aussi belle que Luisante ; et, en disant cela, les maudites bêtes se mirent, malgré qu’elle en eût, à la parer depuis les pieds jusqu’à la tête, afin qu’elle en parût plus défigurée.

La pauvre créature n’avait que la peau et les os ; un bleu pâle avait pris la place du vif incarnat de son teint et de ses lèvres ; ses yeux étaient éteints, et ses joues décharnées paraissaient plus ternies sous la coiffure brillante qu’on venait de lui mettre.

Elles l’étendirent sur un riche canapé dans cet étalage, où à peine fut-elle, qu’elles entendirent monter son amant. On l’assura que c’était le calife, et les cruelles se retirèrent.

Fleur d’Épine fit un effort pour se redresser, afin de le recevoir avec plus de respect ; mais, quand au lieu du ca-