Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/49

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« D’après plusieurs légendes, elles avaient des vers dans la bouche, parce que le sel du baptême n’avait point touché leurs lèvres. Elles perdaient leur immortalité quand elles avaient été baptisées ; on pouvait même les faire périr en leur jetant dans la bouche une poignée de sel.

« Les fées étaient de belles personnes à l’air jeune et avenant ; il y en avait toutefois de vieilles qui paraissaient âgées de plusieurs centaines d’années.

« Il est probable que les fées des houles ont succédé à d’anciennes divinités de la mer et du rivage dont la trace et le nom sont encore aujourd’hui perdus. Il n’est peut-être pas inutile aussi de faire remarquer que beaucoup de ces grottes ont pu servir d’asile aux fraudeurs à l’époque où la contrebande était active sur les côtes ; le costume de toile grise qu’on prête en général aux fées et aux faitauds était celui des faux-sauniers. Ils ont pu, pour accréditer la croyance ancienne et empêcher des visites indiscrètes dans les grottes qui leur servaient de retraite, simuler, de temps en temps, des apparitions. »

V.

Cette observation pratique et peut-être un peu sceptique à propos du parti que la contrebande a pu tirer de ta superstition, nous ramène à Perrault, car elle l’eût fait sourire de ce sourire plein de bonhomie malicieuse qui anime la moralité de ses contes de fées, en lui en révélant une des plus imprévues, et à laquelle il n’eût sans doute jamais pensé. Il était, en effet, l’honnête homme par excellence ; il avait toutes les probités, même celle de l’esprit, la plus rare de toutes, ne pratiquait aucune contrebande, ne fraudait point ses imitations, ne dissimulait point ce qu’il devait à la tradition, et ne prétendait pas à l’originalité. C’est ainsi qu’il atteignit à la meilleure de toutes, celle qu’on a sans le savoir.

Puisque nous sommes revenus à Perrault, c’est le cas de ne le plus quitter. Nous ne le ferons point, en effet, sans avoir essayé de pénétrer son secret et de déterminer dans son œuvre la proportion du double élément de la tradition et de l’invention.

Nous avons recherché et apprécié ce que la suite des temps et les variations des idées et des mœurs avaient fait de cette création fantastique et légendaire : la fée ; nous avons montré quelles vicissitudes ont subies son prestige et son empire, jusqu’au moment où la fée des traditions populaires, des romans chevaleresques et du théâtre fantastique de Shakespeare arrive, de décadence en