Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/54

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monde… L’innocence l’emporte toujours, le méchant est toujours puni, il n’est pas besoin d’attendre un monde meilleur pour châtier le crime et couronner la vertu. Ce qui fait le charme des fées, ce n’est point l’or et l’argent qu’elles sèment partout. C’est la baguette magique qui remet l’ordre sur la terre, et qui du même coup anéantit ces deux ennemis de toute vie humaine : l’espace et le temps. Qu’importe que Griselidis souffre quinze ans de l’exil et de l’abandon ? L’épreuve finie, elle sera jeune et aimable comme au premier jour. »

C’est par cet attrait moral, cet aliment qu’ils fournissent aux illusions généreuses et aux nobles espérances, plus encore que par leur poésie surannée et leurs fictions puériles, que les contes plaisent aux petits et aux grands enfants. Car les contes de fées en général, et ceux de Perrault et de Mme d’Aulnoy en particulier, ne brillent pas surtout par la puissance d’invention, par leur ragoût pour l’imagination, par l’ingéniosité des moyens d’exciter et de varier l’émotion. Leur drame ou Leur comédie sont d’un imbroglio peu compliqué ; il est facile d’y suivre les fils de l’intrigue et d’en prévoir le dénouement. L’imagination du conteur est de courte haleine. Les contes sont destinés à l’enfance ou à l’ignorance et ils émanent de frustes auteurs, appartenant eux-mêmes à l’enfance des peuples. La trame des contes de fées est vieille comme le monde, et il n’y a pas lieu de s’étonner qu’elle soit forte et simple, comme tout ce qui est primitif. Ce n’est que très tard qu’on s’avisera de mettre de l’esprit dans les contes, comme cette comtesse de Murat qui, dans son Palais de la vengeance, nous montre un génie jaloux et vaincu, se vengeant de sa défaite en condamnant son infidèle et le préféré à être éternellement heureux du bonheur légitime et du tendre tête-à-tête de la solitude à deux dans une tour inaccessible à toute visite. Ce châtiment par le mariage, ce bonheur mourant d’ennui dans la solitude, ce sont là les solutions épigrammatiques d’une femme d’esprit mal mariée, qui se souvient trop de ses propres déceptions.

Ces ironies savantes, ces dénouements sceptiques, ne sont pas du premier âge des contes de fées, mais du dernier, de l’époque de décadence et de critique. Il faut arriver à la fin du règne de Louis XIV pour voir travestir ainsi et servir à la satire l’antique inspiration de ces contes dont les canevas originaux proviennent tous du fonds traditionnel de légendes fantastiques et populaires :