Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/76

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noblesse, dès Louis XIV, des noms faits pour l’honorer, comme les le Tellier, les Phélippeaux, les Colbert ; le Petit Poucet n’ignore point qu’il ne doit compter que sur lui, et il ne compte en effet que sur lui pour se tirer d’affaire, et sur la Providence, par-dessus le marché, si elle veut bien s’en mêler, ce qu’il espère. « Aide-toi, le ciel l’aidera. » Le Petit Poucet s’aide et le ciel l’aide aussi, qui n’abandonne jamais les petits luttant contre les grands, les faibles luttant contre les forts, et prend plaisir, au contraire, à rabattre l’orgueil humain de ces exemples, de ces leçons de la revanche que l’intelligence opprimée, que le droit méconnu, tirent parfois de la tyrannie du fait, du joug de l’ignorance toute-puissante. Ce triomphe du nain spirituel et courageux sur le géant Rapide et féroce, il est heureusement ancien comme le monde ; la fable antique, sous toutes les formes, la Bible en cent endroits, ont consacré cette leçon de la victoire des pygmées ; sur les géants, du moucheron sur le lion, du petit David, l’alerte tireur de fronde, sur l’énorme Goliath, à la massue aussi inutile qu’effrayante, et de la belle Judith sur le monstrueux et crédule Holopherne.

Aussi, tandis que l’histoire du Petit Chaperon rouge est locale, pour ainsi dire, et n’a que des versions françaises et allemandes, l’histoire du Petit Poucet est universelle, et cette tradition féconde a porté des fleurs et des fruits dans toutes les langues. On trouve partout ce Petit Poucet cher à la légende populaire de tous les temps, parce qu’il est la glorification de la ruse et de l’industrie des petits dans cette lutte quotidienne pour l’existence qu’ils soutiennent contre les grands, et qu’il flatte l’orgueil de Jacques Bonhomme justement fier de ce petit bonhomme qui fait si bien son chemin, et sera secrétaire du roi, et bien mieux que cela, qui sait ? quand la Révolution aura abaissé toutes les barrières, et qu’une savonnette à vilain ne sera pas le dernier terme de l’ambition populaire ou bourgeoise. Ne sont-ce pas des Petit Poucet qui ont fait leur chemin, que les Ney, les Bessières, les Murat, les Bernadette, ces deux derniers partis de si bas pour arriver si haut, et l’un, tomber d’un trône, l’autre y faire souche de rois ?

On retrouve donc, avec des variantes, cette histoire du Petit Poucet ou du petit avisé l’emportant sur le grand inepte, en allemand, en albanais, en suédois, en hongrois, en serbe, en cata-