Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/78

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de fortune, plus de coups que de pourboires en qualité de courrier au service des grands principes de l’humanité ; mais qu’il se défie du sommeil de l’insouciance, ou de celui, pire encore, de l’ivresse ; l’ogre tudesque ne cherche qu’à se venger et rôde lourdement autour de celui qui l’a pris pour dupe, et dont il voudrait être à son tour le fripon ; que le Petit Poucet se laisse lasser ou griser, qu’il s’endorme et voilà l’ogre de nouveau en possession des bottes de sept lieues, du fouet de courrier et du petit habit à grelots[1] !

Il y a, il convient de le noter en finissant sur ce point, plus d’un ressouvenir de l’ogre et du Petit Poucet, vainqueur de l’ogre, dans les traditions et les légendes bretonnes. Là l’ogre est un Sarrasin ; les deux noms sont synonymes. Dans l’un de ces contes gallois, par exemple, la petite sœur des sept garçons exilés du logis paternel et qui se sont réfugiés dans la forêt, où ils se sont faits charpentiers, n’a plus de feu pour faire cuire leur soupe, et

  1. Le conte français du Petit Poucet est à nos yeux d’origine historique et d’inspiration symbolique, comme la plupart des contes, mais non d’inspiration ou de signification mythique, religieuse, astronomique. Nous avons tu, avec profit et plaisir, la curieuse et ingénieuse dissertation de M. Gaston Paris, intitulée : le Petit Poucet et la Grande-Ourse, où est défendue la thèse du rapprochement entre la Grande-Ourse, Chaur-Pocè en wallon, la figure de char à trois chevaux, conduits par un conducteur grêle et brillant, que forme la disposition de ses huit étoiles, et les aventures d’un être merveilleux et surnaturel, miraculeuse nient accordé à des parents affligés d’une longue stérilité, héros d’un cycle de contes traditionnels, en grec, albanais, lithuanien, allemand, norvégien, esclavon, roumain. M. Gaston Paris convient que les contes anglais et français doivent être examinés à part, et de cet examen il résulte pour lui, ce qui nous dispense d’aller plus loin, que le conte de Perrault et ceux qui lui ressemblent sortent du cadre de son étude, et ne se rattachent pas à son interprétation.

    Il y a aussi bien de la curiosité, de l’ingéniosité et des recherches savantes dans le livre où M. Hyacinthe Husson (la Chaîne traditionnelle, contes et légendes au point de vue mythique ; Paris, Franck, 1871) rattache à un système de mythes aryens, personnifiant et dramatisant le lutte du jour et de la nuit et de la lumière et de l’ombre, les contes de Perrault, et voit, par exemple une incarnation de l’Aurore dans le Petit Chaperon rouge, un symbole du Soleil dans le Loup dévorant, une image de la Nuit dans la Belle au bois dormant, et trouve dans l’histoire du Petit Poucet les éléments d’un mythe relatif aux phénomènes de la lumière. Nous croyons que Perrault eût été bien étonné de ces interprétations, et que les mères-grand et les mies, qui ont popularisé ses contes, seraient encore plus ébaubies de ces jeux de savants et en laisseraient tomber à terre, de surprise, hochets, quenouille et lunettes.