Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/95

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aux mains d’écrivains qui se passent le plus qu’ils peuvent de l’élément féerique et finissent par s’en passer tout à fait. Tandis que le conte pour les grandes personnes, pour les grands enfants, se déprave avec Diderot, Duclos, Crébillon, jusqu’aux récits soi-disant moraux de Marmontel, le conte pour les enfants, développant les tendances que lui a imprimées Fénelon, et que n’a pas modifiées Jean-Jacques Rousseau dans sa Reine fantasque, devient pédagogique, moral, exemplaire, affichant, au lieu de les dissimuler, son but et sa leçon, remplaçant les anciennes formules cabalistiques par des maximes, et les légères moralités par des exhortations.

Mme Leprince de Beaumont, épouse malheureuse, mère admirable, institutrice de premier ordre, cherchant à adapter aux habitudes et aux aptitudes de l’esprit et du tempérament français les méthodes anglaises d’éducation et de récréation de l’enfance, ne bannit pas les fées de son récit ; mais ses fées sont à son image : ce sont d’excellentes institutrices, des gouvernantes disertes, n’employant pour rendre la vertu aimable et la morale amusante que les derniers prestiges d’un fantastique tempéré et raisonnable comme elles, dont la fusée fait parfois long feu. Nous n’irons plus au bois, les lauriers fatidiques sont coupés. Plus rien des types accoutumés ; adieu ces personnages qui font partie, pour ainsi dire, de l’imagination enfantine et lui fournissent les premières ailes ; les cieux du merveilleux légendaire se sont abaissés aux proportions mesquines d’un décor d’opéra, d’opéra-comique, même d’un cabinet de physique amusante. On peut suivre, dans la Belle et la Bête et la Fée aux Nèfles, les deux meilleurs contes de Mme Leprince de Beaumont, la transformation du Riquet à la Houppe et du conte intitulé les Fées, de Perrault.

Avec Berquin, avec Bailly, plus d’animaux parlants, plus de nains spirituels et malins, plus d’ogrerie, plus de féerie, plus de galanterie, plus de merveilleux, plus de fantastique, plus d’amour, plus d’esprit, plus de joie dans le conte pour enfants, qui fait pleurer ceux qu’il faisait rire autrefois, qui édifie ceux qu’il divertissait jadis, qui prépare à la vertu les cœurs de ceux dont il amusait l’imagination, qui donne des leçons de morale et de science assaisonnées aux larmes du sentiment.

En même temps vient une femme, bel esprit, la première des bas bleus françaises, Mme le gouverneur des enfants d’Orléans, la