Aller au contenu

Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
129
les bastonnais

leur feuillage d’automne et l’atmosphère tranquille était un calmant pour nos membres harassés.

Mais vers le milieu d’octobre, la scène changea soudainement. Toutes les feuilles des arbres étaient tombées ; le vent soufflait le froid à travers les branches dénudées et tout à coup apparut devant nous une montagne de neige. Notre commandant éleva sa tente et déploya le drapeau continental. Un de nos officiers gravit la montagne jusqu’au sommet dans l’espoir d’apercevoir les clochers de Québec.

Le sieur Sarpy sourit de nouveau et branla la tête.

— Cet officier aurait dû donner son nom à la montagne, dit Zulma d’un ton moqueur.

— C’est ce qu’il fit. Nous l’avons nommé le mont Bigelow.

— Et qu’a-t-il vu du haut de cette montagne ?

— Rien qu’un immense espace envahi par l’hiver, et des bois désolés. À partir de cet endroit, nos souffrances et nos dangers augmentèrent jusqu’à devenir presque intolérables.

Il nous fallait traverser des rivières avec de l’eau jusqu’à la ceinture, nous frayer un chemin dans la neige amoncelée, traîner les bateaux. Il semblait que nous ne franchirions jamais la distance qui nous séparait des sources de la Chaudière. On tint un conseil de guerre, on renvoya en arrière les malades et les impotents et, comme pour ajouter à notre découragement, le colonel Enos, le commandant en second, abandonna l’expédition et retourna à Cambridge avec toute sa division.

— Le traître ! s’écria Zulma avec sa fougue caractéristique.

— Mais nous précipitâmes notre marche, aiguillonnée par l’énergie du désespoir. Nous passâmes près de dix-sept chutes, et par une terrible journée d’octobre, au milieu d’une aveuglante tempête de neige, nous atteignîmes la hauteur des terres qui sépare la Nouvelle Angleterre du Canada.

Un portage de quatre milles nous amena à un petit cours d’eau sur lequel nous lançâmes nos bateaux et nous flottâmes jusque dans le lac Mégantic, la principale source de la Chaudière. Nous établîmes là notre camp, et le lendemain, notre commandant avec une escorte de cinquante-cinq hommes sur la rive et treize hommes à bord avec lui, descendit la Chaudière jusqu’aux premiers établissements français, pour y acheter des provisions et nous les envoyer. Ils rencontrèrent des difficultés sans précédents. Dès qu’ils furent entrés dans la rivière, le courant les emporta avec une grande rapidité, bouillonnant et écumant sur un lit de rochers. Ils n’avaient pas de guide. Plaçant leurs bagages et leurs provisions