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Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/150

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les bastonnais

Le seigneur Sarpy, assis dans son fauteuil, après dîner, était absorbé dans la lecture d’un livre et apparemment sous la bénigne
influence d’un temps paisible et sans bruit. Au calme de ses manières, on pouvait voir qu’il avait oublié les événements de la nuit précédente et qu’il était inconscient sinon oublieux de ce qui se passait parmi les belligérants autour de Québec.

Il fut interrompu dans son occupation par l’entrée de la servante, qui annonça l’arrivée de Batoche. Ce nom le surprit un peu, mais sans quitter son siège, il répondit tranquillement : « Faites-le entrer ».

Les deux vieillards n’eurent pas plus tôt passé quelques minutes ensemble, qu’ils se comprirent parfaitement.

Ils étaient du même âge et s’étaient connus autrefois, dans des temps meilleurs.

Après les préliminaires ordinaires d’un renouvellement de connaissance, Batoche dit :

— Je suis sur mes jambes depuis quatorze heures et je dois retourner avant la nuit à l’endroit d’où je viens. Je suis vieux maintenant et n’ai pas la force de résistance que j’avais il y a quinze ans.

Aussi faut-il que je sois bref, quoique l’affaire que j’ai à traiter soit de la plus grande importance. Veuillez me prêter toute votre attention pendant une demi-heure.

M. Sarpy ferma son livre et levant la main droite, demanda :

— L’affaire est-elle politique ou personnelle ?

— Elle a ce double caractère. D’un côté, il est question d’un crime, de l’autre de miséricorde. Je fais appel à votre humanité.

À ce moment, Zulma parut à la porte de la chambre ; mais elle était sur le point de se retirer aussitôt, quand Batoche se tournant vers elle et avec une aménité que l’on n’aurait jamais soupçonnée en lui, dit :

— J’espère que Mademoiselle voudra bien entrer. Je n’ai pas de secret pour elle. Nous savons tous qu’elle est la fidèle conseillère de son père, et Mademoiselle apprendra avec plaisir que son frère et son amie, la petite Pauline, sont rentrés en sûreté dans les murs