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Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/170

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les bastonnais

sion la plus favorable sur tous les invités et en particulier sur le gouverneur.

Ce n’est rien exagérer que de dire que tout cela était réellement délicieux pour le père si accablé d’anxiété et que, dans les circonstances du moment, surtout, cela contribua puissamment à lui rendre sa tranquillité d’esprit.

Il n’est donc pas étonnant que la conversation ainsi commencée fût un courant continu de gaieté auquel Batoche lui-même se joignit par intervalles et à sa manière étrange. Il parla peu néanmoins ; il ne prononça peut-être pas une douzaine de mots en tout, mais il faisait entendre de temps en temps un rire comprimé, il se tournait de tous côtés sur son siège et donnait d’autres signes de la satisfaction qu’il éprouvait de voir la tournure qu’avaient prises les choses. Tout ceci ne l’empêcha pas, néanmoins, du coin comparativement obscur où il s’était placé, de surveiller avec la plus grande attention les traits du visiteur et d’étudier tous ses mouvements.

Enfin, à un endroit propice de la conversation, M. Belmont demanda à son ami quelles étaient les nouvelles du jour.

« Oh ! rien que je sache, répondit Bouchette promptement et avec une indifférence réelle. Je viens de sortir du lit et je suis venu ici tout droit. »

On aurait enlevé une montagne des épaules du pauvre M. Belmont, qu’il n’eût pas ressenti plus de soulagement qu’en entendant ces quelques mots. Il ne put contenir sa joie. Il sauta de son siège et, appliquant une tape amicale sur l’épaule de son ami, il s’écria :

— Eh bien, Bouchette, nous allons prendre un verre de vin, de mon meilleur bourgogne. Votre visite m’a fait le plus grand bien !

Les petits yeux gris de Batoche étaient fixés comme des vrilles sur le mur d’en face au point où il atteignait le plafond. Ils brillaient d’un éclat vitreux. Le vieillard était retombé soudainement dans une de ses rêveries ; mais ce ne fut que pour un moment. Revenant à lui, il se leva brusquement de sa chaise, à son tour, laissa tomber son bras droit sur sa cuisse avec bruit et murmura quelques mots inarticulés.

On dégusta le vin avec force souhaits et bons mots. On vida de nouveau les verres et quand l’entrevue prit fin, Bouchette sortit de la maison aussi bruyamment et cordialement qu’il y était entré.

— Eh bien ? s’écria M. Belmont, en fermant la porte et en se plaçant en face de Batoche, dans le corridor.

Eh bien ? répondit tranquillement l’autre.

— Qu’en dites-vous ?