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les bastonnais

Le gouverneur examina les suscriptions une par une et en silence, tout en faisant ses commentaires à voix basse :

Monsieur L. — Cela ne me surprend pas.

Monsieur F. — Il faudra voir à cela.

Monsieur O. — C’est assez probable.

Monsieur R. — Il doit y avoir quelque erreur. Il est trop fou pour prendre parti d’un côté ou de l’autre.

Monsieur G. — Sa femme devra décider cela pour lui.

Monsieur X. — Je lui donnerai une commission et il ira très bien.

Monsieur N. — Je n’en crois pas un mot.

Monsieur H. — Branle dans le manche. Il a trahi la France sous Montcalm, il peut bien trahir l’Angleterre sous Carleton.

Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il en eût parcouru une douzaine de plus. Enfin, la vingtième adresse frappa son regard et il s’écria :

Monsieur B. — Impossible ! Mon meilleur ami !… Mais si pourtant c’était vrai ? Qui sait ce que peuvent produire ces jours ténébreux ? B ! B ! Je vais m’éclairer sans retard.

En disant ces paroles, il jeta toutes les lettres sur la table et s’efforçant de maîtriser son émotion, il se tourna vers Roderick Hardinge et lui demanda :

— Avez-vous autre chose à me dire, mon jeune ami ?

— Rien de plus, Monsieur, sinon de m’excuser d’avoir accaparé une si grande portion de votre temps, surtout à cette heure indue.

— Que cela ne vous préoccupe pas. Si tout ce que vous m’avez dit est vrai, le renseignement est d’une importance incalculable. Je ne perdrai pas un instant et je ne vous oublierai pas, ni vous, ni votre vieux serviteur. Je vais envoyer des éclaireurs immédiatement et procéder moi-même à l’examen de ces lettres que vous avez placées entre mes mains. La situation est grave, jeune homme. Vous avez bien agi et pour vous montrer combien j’apprécie votre conduite, j’entends vous charger d’une nouvelle mission. Vous n’avez pas dormi cette nuit ?

— Non, Excellence.

Il est maintenant cinq heures et demie. Allez vous reposer jusqu’à midi. Alors, venez ici avec le meilleur cheval de selle de votre régiment. Je vous donnerai vos instructions.

Roderick Hardinge salua et prit congé au moment où les premières lueurs de l’aurore apparaissaient dans le firmament.

Personne ne l’accosta dans le vestibule. La sentinelle postée à l’entrée ne prit pas même garde à lui. Il se dirigea en droite ligne vers les casernes. Au moment où il traversait la place de la cathédrale, une gracieuse jeune fille à la figure encapuchonnée passa sans