Aller au contenu

Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
les bastonnais

la virilité de son attitude, la chaleur cordiale, ainsi que le ton aisé et élevé de sa conversation. Parfois elle se disait que le sort de Cary n’était pas si pénible après tout, à l’abri qu’il était désormais de tous nouveaux dangers ; exempt des rigueurs de l’hiver qu’il avait eu à supporter dans les camps et en compagnie d’un homme aussi sympathique que Roderick Hardinge. Un triste sourire glissa sur ses traits à la pensée qu’elle serait bien prête à souffrir un peu de captivité pour jouir d’une telle société. Mais tous ces sentiments s’arrêtaient à la surface. Au plus profond de son cœur, elle éprouvait un grand chagrin de l’échec complet des Américains, de leurs espérances déçues, de leur attente trompée et de la terrible catastrophe qui avait été fatale à un si grand nombre de leurs principaux officiers. Elle s’apitoyait surtout sur les infortunes qui accablaient Cary Singleton. Deux fois blessé et maintenant prisonnier : assurément, c’était là une rude expérience pour un jeune homme de vingt et un ans. Et puis, elle était privée de sa compagnie, de même qu’il était privé de la sienne. Elle se demandait, (et, en dépit d’elle-même, cette pensée était pour elle une nouvelle peine), s’il ressentirait l’isolement autant qu’elle. Elle ne savait pas combien de temps la captivité durerait ; Batoche n’avait pu l’éclairer sur ce point. Si les débris de l’armée continentale retraitaient, les infortunés seraient sans doute laissés en arrière à languir dans leur prison. Si le siège devait continuer durant le reste de l’hiver, on les détiendrait pour les empêcher de grossir les rangs des envahisseurs. Dans tous les cas, l’avenir apparaissait très sombre.

Zulma demeura pendant toute une semaine dans cet état de doute et d’accablement. Dans cet intervalle, son père et elle-même reçurent des nouvelles plus détaillées des grandes batailles, de sorte que maintenant ils en connaissaient toutes les péripéties, mais ils n’apprirent absolument rien concernant ceux qui étaient à l’intérieur des murs.

Batoche, qui vint les visiter une couple de fois durant ce laps de temps, leur dit qu’il avait essayé, chaque nuit, d’entrer dans la ville, mais qu’il avait trouvé toutes les issues si étroitement gardées, que force lui avait été d’abandonner chacune de ses tentatives. Il ajouta, néanmoins, qu’il était sûr que cette vigilance extraordinaire ne durerait pas bien longtemps. Dès que la garnison serait convaincue que l’armée assiégeante n’avait aucune intention de renouveler l’attaque, du moins immédiatement, elle modérerait cette excessive surveillance qui devait peser lourdement sur des troupes si peu nombreuses. Cette assurance n’apportait à Zulma qu’une mince consolation. Elle annonçait un nouveau délai, et les délais, avec toutes leurs incer-