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Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/227

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les bastonnais

renfoncés et la fièvre imprimait ses traits de feu vers les pommettes de ses joues et sur son vaste front. La masse de ses cheveux bouclés tombait humide sur l’oreiller. À la faible lueur d’une lampe munie de son abat-jour et placée sur la table voisine, Cary rigide et muet avait l’apparence d’un cadavre.

Quelle différence avec le vigoureux soldat que Batoche avait vu combattre vaillamment à son côté, dans le terrible défilé du Sault-au-Matelot.

Pauline, assise sur une chaise basse à la tête du lit, était la peinture la plus parfaite de la beauté triste et souffrante. Le cercle bistré qui entourait ses yeux révélait ses longues veilles et sa taille légèrement courbée indiquait la fatigue contre laquelle luttaient son courage et son dévouement. Quand l’étranger entra dans la chambre avec son père, elle ne quitta pas son siège et ne fit aucun signe. Elle pensait que c’était probablement un soldat que Roderick, empêché de venir en personne, avait envoyé prendre des nouvelles du malade ; mais quand le militaire s’approcha davantage et que M. Belmont, qui le précédait, lui souffla quelques mots à l’oreille, elle se leva en comprimant de ses deux mains les battements de son cœur.

— Batoche ! s’écria-t-elle d’une voix étouffée ; vous êtes un ange de la Providence.

— J’ai appris qu’il était malade et je suis venu le voir.

— Oui, vous avez appris qu’il était malade, et vous êtes venu, au péril de votre vie. Vous êtes un noble cœur et un généreux ami. Oh ! comme il sera heureux de vous voir ! Il dort ; nous ne pouvons pas l’éveiller, mais quand il s’éveillera, votre présence lui donnera de la force et du courage. Et Zulma…

À ce moment, on frappa légèrement à la porte principale, et la jeune fille, s’interrompant, sortit de la chambre et descendit.

— C’est Hardinge, dit M. Belmont. Entrez dans la chambre voisine, Batoche. Il ne sera pas ici longtemps. Peut-être, le malade reposant en ce moment, ne montera-t-il même pas.

Quelques moments s’écoulèrent avant que l’officier ne montât, engagé qu’il était dans un tête-à-tête avec Pauline, et quand il entra dans la chambre, ce ne fut que pour regarder pendant quelques secondes le malade endormi. Il se borna à dire à M. Belmont qu’il venait de voir le docteur. L’homme de l’art déclarait que la crise était à son apogée, mais que les chances étaient grandement en faveur du patient. Un incident quelconque, aussi léger qu’il fût, qui pourrait l’égayer un peu, sans trop l’émouvoir toutefois, produirait probablement un mieux sensible.