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les bastonnais

Batoche resta ainsi assis pendant au moins une demi-heure devant le feu, ses longues mains maigres enfoncées dans ses poches, son casque de peau de renard rejeté sur un côté de la tête et les yeux distraitement fixés sur les flammes

Malgré l’immobilité de sa posture, il était évidemment en proie à de profondes émotions, car la lueur blafarde qui se jouait sur sa figure révélait dans sa physionomie le jeu de pénibles pensées.

De temps en temps, il murmurait d’une voix à moitié articulée des paroles que le chat noir paraissait comprendre, car il ronronnait pendant quelque temps dans son nid demi-circulaire, puis, se levant, arrondissait le dos et regardait son maître avec une expression de tendre sollicitude dans ses yeux verts.

Mais Batoche ne pensait guère à Velours, ce soir-là. Son esprit était entièrement occupé de la petite Blanche qui, étant allée à Québec pour quelques commissions, suivant son habitude, n’était pas encore de retour.

Le vent gémissait lugubrement autour de la petite hutte qu’il ébranlait parfois comme s’il avait voulu la renverser de ses fondements. Les pins et les hêtres du voisinage, violemment secoués par la tempête, faisaient entendre des craquements sinistres, et du sommet des chutes s’élevait un sourd grondement plein de tristesse.

Soudain, au milieu de tous ces bruits, l’oreille exercée du vieux solitaire distingua un cri singulier venant du côté de la route. C’était un aboiement aigu et perçant suivi d’un gémissement plaintif. Il se redressa, tendit l’oreille et écouta de nouveau. La fourrure de Velours était maintenant hérissée et ses moustaches étaient raides comme des fils de fer. De nouveau, le hurlement lugubre retentit, rendu plus distinct et plus frappant par un coup de vent violent et soudain.

« Un loup, un loup ! » s’écria Batoche en s’élançant de son siège. Il arracha son fusil des crochets et se précipita hors de la maison. Sans un instant d’hésitation sur la direction qu’il devait prendre, il courut vers la grand’route.

— « Non, oh ! non ; c’est impossible, » murmurait-il, tout haletant, dans sa course rapide, « Dieu ne voudrait pas la jeter dans la gueule du loup. »

Il atteignit bientôt la route et s’arrêta un instant sur le bord du chemin pour écouter. Il ne fut pas désappointé, car à cent ou deux cents pas de lui, il entendit, pour la troisième fois, le hurlement menaçant du loup.