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les bastonnais

Qu’était-ce donc ? Un fantôme ou une réalité ? Une illusion de la vapeur et de la nuit, ou un esprit de Dieu marchant en réalité sur les eaux ? Nous ne pouvons le dire, ou plutôt, nous ne nous arrêterons pas à cette question. Il nous suffit de savoir que le pauvre vieil ermite l’avait vu et que ce spectacle l’avait transporté en extase. Tout son être paraissait transfiguré sous la vision éthérée qui brillait devant lui. Les traits grossiers du vieil âge et le pauvre vêtement se fondaient sous les traits radieux du bonheur et de la vénération. Sous les rayons de la lune voilés par la brume, à la lueur vacillante des étoiles, il tomba à genoux, étendit les bras et, les yeux levés vers l’apparition, il parut absorbé dans la prière.

«  Encore une fois, ô Clara ! encore une fois, ô ma fille ! il y a bien longtemps que je ne t’ai vue et mes jours se sont écoulés tristement dans l’isolement et la solitude.

«  Encore une fois, tu viens sourire à ton vieux père et apporter une bénédiction à ton enfant orpheline.

«  Elle dort doucement là-haut, près du foyer. Protège-la du danger qui doit nous menacer, je le sais et ton apparition m’en avertit. Tu es l’ange gardien de ma cabane ; garde-la de tous les périls qui l’ont menacée depuis tant d’années. Donne-moi un signe de ta protection, et je serai content. »

Telles étaient les paroles que prononçait le vieillard à genoux sur les pierres humides. Que nul ne sourie en les lisant, car les divagations mêmes d’un cerveau malade sont admirables quand elles ont un sens spirituel.