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Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/49

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les bastonnais

ayant rapidement parcourues, les passa à ses collègues, puis se tournant vers le jeune officier :

— Il est clair que l’orage qui s’est amoncelé sur cette province doit éclater sur Québec. C’est ici la vieille cité du destin, et nous accepterons notre destinée, lieutenant, dit le gouverneur en se levant de la table et en s’avançant vers Roderick.

Nous n’avons pas été oisifs durant votre absence. On peut faire beaucoup dans une journée et demie, et c’est ce que nous avons fait. Nous avons tant travaillé que nous pouvons attendre l’arrivée d’Arnold avec quelque assurance. Je vois, néanmoins, par les dépêches que vous m’apportez, que le colonel McLean est en danger à Sorel. J’avais compté sur son arrivée et celle du gouverneur Carleton, qui connaît à présent notre position exacte. S’il leur arrive malheur, les choses iront mal pour nous, mais nous ferons de notre mieux tout de même.

Hardinge répondit qu’il était très heureux d’entendre ces paroles, parce que les populations de la partie supérieure du pays, à travers laquelle il venait de voyager, tournaient leurs regards vers Québec, dont elles espéraient le salut final de la province. Il était assez généralement concédé que le reste du pays était perdu.

— Vos dépêches rendent cette appréhension une pénible certitude, reprit le gouverneur, et cela augmente notre responsabilité. Je compte tout particulièrement sur vous, lieutenant. J’apprécie tant ce que vous avez fait, que j’attends de vous quelque chose de plus. C’est aujourd’hui notre dernier jour, ne l’oubliez pas.

— Notre dernier jour ?

— Oui ; Arnold sera à la Pointe-Lévis demain.

Hardinge ne put s’empêcher de sourire.

— Vous pouvez bien sourire ; votre prédiction était juste. J’ai vu Donald hier soir. Il avait rôdé autour de l’ennemi tout le jour et il m’a informé que, grâce à des marches forcées et en droite ligne, les Américains arriveraient sûrement à Lévis demain. En cette occurrence, j’ai un service à vous confier ; mais auparavant, il vous faut prendre quelque repos.

— Je serai prêt à exécuter vos ordres, au lever du jour, Excellence.

— À dix heures ; ce sera bien assez tôt. Si nous agissions dans les ténèbres, nous exciterions trop de curiosité. La ville ignore encore, en réalité, l’imminence du danger, quoiqu’il circule beaucoup de rumeurs. L’émoi d’hier s’est complètement apaisé et il serait imprudent de le réveiller. À dix heures, donc, vous traverserez tranquillement le fleuve avec deux ou trois de vos hommes et, sous prétexte d’en avoir besoin pour quelque service (je vous laisse le soin d’imaginer un prétexte plausible), vous leur ferez ramener de ce côté toute espèce d’embarcations : canots, chaloupes, bacs ou pontons. Il ne faut pas laisser à Lévis une planche flottante. Si Arnorld veut traverser le fleuve, il lui faudra construire ses bateaux avec les arbres de la forêt. Donald sera là pour vous aider et il pourra avoir des nouvelles fraîches.

Roderick remercia Son Excellence de lui confier cette tâche, qu’il regardait comme le couronnement des services qu’il avait rendus à son pays pendant les deux jours écoulés. Après avoir exprimé sa gratitude, il ajouta :