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les bastonnais

— Le lieutenant-gouverneur n’a-t-il pas ouvert les lettres devant vous ?

— Il les a ouvertes devant moi.

— Et il les a lues ?

— Oui, il les a lues.

La lèvre de M. Belmont eut un mouvement de mépris et ses yeux lancèrent des flammes à Hardinge, qui reprit avec un sourire :

— Le lieutenant-gouverneur a ouvert et lu les lettres en ma présence et, après les avoir lues, il a fait tout haut ses commentaires ; mais dans aucun cas il n’a révélé le nom des personnes auxquelles les lettres étaient adressées, de sorte qu’en ce moment même j’ignore complètement qui elles sont. Si ce n’est par la déduction que je tire naturellement de ce qui est arrivé entre nous, je ne saurais pas que l’une de ces lettres vous était adressée, et en réalité, je n’ai aucune preuve qu’il en soit ainsi.

— Il en est ainsi, s’écria M. Belmont d’une voix de tonnerre. J’ai reçu une lettre de cette source et elle m’a jeté dans de grandes difficultés. J’ai été mandé au château à la face de toute la ville. J’ai été soupçonné et menacé et la conséquence de tout cela est que j’ai été poussé à…

— Arrêtez, M. Belmont, dit Hardinge avec calme et levant la main. Ne me dites rien de vos projets ; je ne veux pas les connaître. Je ferai mon devoir envers mon roi et mon pays. Je crois que vous ferez le vôtre ; mais si vos principes vous conduisaient dans une autre voie, je préfère l’ignorer et éviter ainsi de devenir votre ennemi.

— Vous n’êtes pas et ne serez pas mon ennemi, s’écria M. Belmont, étreignant dans ses deux mains la main étendue du jeune officier, qu’il embrassa ensuite sur la joue. Je vous dois une complète réparation. Mes soupçons étaient cruellement injustes, mais vous les avez dissipés. Je vous ai traité ce soir d’une manière outrageante, et je vous prie de me le pardonner.

Vos explications sont entièrement satisfaisantes. Vous avez fait votre devoir de soldat en remettant ces lettres au lieutenant-gouverneur, et quand même vous auriez su à qui elles étaient adressées, votre devoir eût été le même.

— Je n’ai pas besoin qu’on m’apprenne mon devoir, dit Hardinge avec une légère nuance de hauteur, qu’il tempéra aussitôt en ajoutant : Mais je suis flatté de savoir que j’ai l’approbation d’un homme qui m’a toujours paru être un modèle d’honneur.

— Vous avez mon approbation entière et complète, lieutenant. Quoique vous ayez été l’instrument indirect de la crise par laquelle