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les bastonnais

Et ses lèvres ? Pourquoi devinrent-elles blanches et immobiles comme le marbre, sans pouvoir articuler une seule parole ?

Il y eut un silence d’une profonde solennité qui jeta Pauline dans la perplexité. Elle craignait d’en avoir trop dit, autant pour son bien que pour celui de son ami. Mais cette appréhension se dissipa bientôt au toucher de la main de Zulma appuyée sur la sienne. Le regard profond et pénétrant dont celle-ci couvrait sa compagne, expliquait bien mieux que des paroles qu’elle comprenait tout et sympathisait généreusement avec son amie.

— Sans doute, dit-elle en riant, si vous vous inspirez de l’opinion du lieutenant Hardinge, vous ne pouvez avoir une bien haute idée des Américains et je suppose que ce serait perdre mon temps que d’essayer de combattre cette opinion.

— Heureusement, le résultat de la guerre ne dépend pas de l’opinion de deux jeunes filles comme nous, reprit Pauline, d’un air
raisonneur qui lui était complètement étranger et qui fit rire sa compagne de nouveau.

— N’importe, dit Zulma. Faisons quel­que chose qui soit plus conforme au caractère de la fem­me. Allons voir ces nouveaux soldats.

— Très bien. Je pourrai peut-être ain­si apprendre quelque nouvelle de mon père.

Elles sortirent de la maison et se mêlèrent à une foule d’hommes, de femmes et d’enfants, se dirigeant vers les remparts. En arrivant aux murailles, elles les trouvèrent garnies d’une rangée de gens parlant et gesticulant avec la plus grande animation. Les uns parlaient à haute voix, d’autres criaient de toute la force de leurs poumons ; ceux-ci agitaient leurs chapeaux, ceux-là faisaient flotter au vent leurs mouchoirs attachés au bout de leurs cannes, comme des drapeaux, et quelques-uns faisaient ouvertement des signaux de bienvenue aux rebelles.

L’armée d’Arnold était là, rangée devant eux, déployée en double