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à force d’aimer

me regarder descendre le sentier. J’agiterai mon mouchoir au tournant de la route. »

Elle partit. L’enfant la suivit du regard, tout soulevé de tendresse fière. Sa nourrice, son frère de lait, se tenaient à côté de lui, et l’admiration de leurs yeux dilatés escortait la jolie dame. C’était sa maman, à lui, René ! Il ne connaissait rien de plus gracieux ni de meilleur. Elle aurait été moins câline et moins jolie qu’il l’eût encore trouvée plus parfaite que toutes les autres femmes. Mais combien de fois n’avait-il pas entendu louer son charme, sa beauté ! Un regret le saisit de la voir s’éloigner à chaque pas. N’était une fausse honte de grand garçon, qui déjà jouait l’indifférence masculine, il aurait couru après elle pour l’embrasser encore. Mais, d’un pas onduleux qui balançait une fleur sur son chapeau de paille, elle allait atteindre le tournant du sentier. L’air faisait palpiter sur ses épaules un volant de dentelle ; d’une main elle soulevait sa robe de foulard bleu. Et la lourde torsade de ses cheveux par derrière fit songer à René que depuis longtemps, il avait oublié son jeu enfantin, consistant à retirer les épingles d’écaille pour voir se dérouler les longues mèches de soie brune. « C’est moi qui la décoifferai demain soir, » pensa-t-il avec une excitation d’espièglerie. « Mais je ne lui dirai rien. Je lui ferai une farce, quand elle sera bien tranquille à sa lecture. »