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à force d’aimer

mant l’alcôve où se cachait le lit, et surtout l’absence de poussière, ôtaient à cette pièce très simple la banalité vulgaire d’un garni.

Pour observer ce qui se passait dans le jardin de l’hôtel Vallery, le jeune homme avait laissé sur la table un livre ouvert et des notes commencées. Ce livre était Le Capital, de Karl Marx. Tout à l’heure peut-être, l’esprit curieux et hardi qui sondait ces pages se passionnait pour ou contre les théories du célèbre socialiste. Mais, en ce moment, ce n’était plus le chimérique bonheur des peuples qui le préoccupait. Accoudé sur l’appui de la croisée, le jeune homme appuyait sur sa main une belle tête aux cheveux foncés, aux traits délicats et fiers ; ses yeux, d’un brun lumineux sablé d’or, s’adoucissaient jusqu’à l’attendrissement, tandis que sa bouche, d’un modelé finement sensuel sous une moustache retroussée, frémissait parfois vers les coins comme dans un sourire un peu tremblant, mouillé d’une larme intérieure.

Il distinguait parfaitement les deux jeunes filles, tandis qu’elles-mêmes, si elles avaient pensé à lever les yeux de son côté, n’auraient pu le voir que d’une façon confuse. Cela tenait au treillage et au lierre, qui le masquaient de loin, mais, de près, laissaient son regard passer par leurs interstices.

Un détour d’allée cachait les deux promeneuses ; elles reparaissaient de face, suivaient le circuit