Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Cependant le monde voulut vite voir une vilaine raison à la sollicitude empressée qu’il y apporta. On ne comprenait pas qu’il continuât de maintenir constamment dans la société de sa fille une jeune personne dont, la réputation ne sortait pas intacte des événements qui la laissaient orpheline. L’histoire de Jocelyne, telle que la malveillance publique la consacrait, était celle-ci : Mlle Monestier aurait poussé jusqu’aux plus scabreuses limites un flirt avec un jeune homme qui la demanda en mariage, puis qui se retira brusquement en découvrant qu’il n’était pas le premier dans les bonnes grâces de sa fiancée. Sa retraite aurait déterminé des catastrophes. D’abord sa propre mort, à lui, car le frère de Jocelyne le tua en duel. Puis la rupture de la jeune fille avec les siens, qui ne lui pardonnèrent pas. L’exil volontaire de ce frère, établi depuis lors à l’étranger. Le désespoir mortel de Mme Monestier, qui succomba de chagrin. Enfin, le suicide de M. Monestier, qui ne voulut pas survivre à sa femme.

Qu’y avait-il de vrai dans ces tragiques propos ? Pas la moitié, affirmaient Nauders et Huguette en demandant à Clérieux de se rencontrer avec leur amie. Et cette moitié de vérité se défigurait encore, assuraient-ils, par l’interprétation, par l’ignorance des caractères, des mobiles, des causes. Jocelyne était une victime, indignement séduite, plus indignement calomniée. Jamais ses parents ne l’avaient condamnée, maudite. Le père Monestier était mort d’une embolie. Loin de renoncer volontairement à l’existence, il voulait vivre pour tirer vengeance du vrai coupable, — qui n’était pas le fiancé félon, si définitivement châtié par l’indignation fraternelle.

Tout ce romanesque, vaguement logé dans la tête de Robert Clérieux par des conversations anciennes, ne l’avait jamais intéressé. De temps à autre, il taquinait sa compagne d’enfance, Huguette Nauders — même après qu’elle fut devenue vicomtesse de Gessenay — sur les airs de dévotion et de mystère qu’elle prenait à la moindre allusion touchant son amie.

— « Eh bien ?… Et sainte Jocelyne demi-vierge et martyre ? » lui demandait-il en riant.