Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/41

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— « Dites-moi, Sorbelin… Ma femme m’écrit qu’un des petits est malade là-bas. Voilà leur retour remis à je ne sais quand. Elle est affolée. Une maman, n’est-ce pas, ça prend peur tout de suite. Verriez-vous un inconvénient à ce que j’aille voir ce qu’il en est ? L’affaire de quarante-huit heures… dont un dimanche, si je ne pars que demain.

— Mon Dieu, monsieur Robert… » fit le directeur d’un ton dubitatif. Puis il questionna, dans une anxiété polie :

— « Vous n’êtes pas inquiet, j’espère ? Lequel des deux est malade ?… L’aîné, Pierre ?

— Non, le second… André. Oh ! une rougeole, un bobo d’enfant. »

Robert prenait un accent détaché, mais il guettait le visage de Sorbelin comme un écolier qui attend l’exemption d’un devoir. Malgré toutes ses résolutions d’agir en véritable chef, malgré les études acharnées qui l’en eussent rendu capable avec un peu de confiance en lui-même, il subissait l’ascendant de cet homme, habile et rogue. Les grandes capacités de Sorbelin lui avaient valu la haute situation de directeur, voici cinq ans déjà, — mais alors que les vieux patrons, le père et l’oncle Clérieux, exerçaient le gouvernement effectif. Et c’était à lui que leur héritier devait son initiation.

— « Mais, monsieur Robert », déclara-t-il froidement, « vous êtes le maître. Vous savez aussi bien que moi s’il vous est loisible de vous absenter. Ge que je peux vous affirmer, c’est que je m’arrangerai pour que rien n’en souffre. »

Clérieux pâlit imperceptiblement. Quoiqu’il n’eût point senti d’arrogance ni d’ironie dans l’intonation, il comprenait trop. Avec Sorbelin, l’usine pouvait se passer de lui.

— « Seulement », reprit l’autre, « voilà… Vous devrez me laisser pleins pouvoirs. Car certaines solutions urgentes…

— Comment ? » fit Robert… « Pour deux jours !

— Oh ! ce peut être une question d’heures.

— Que se passe-t-il donc, Sorbelin ? Vous avez l’air soucieux ! Parlez. »