Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/58

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jetées d’un constant effort. Et le masque glabre au dessin précis, la bouche de décision, le menton de volonté, dénudés de toute ombre. Les yeux, cavernes d’énergie, surplombés par ce front, solide et haut comme un mur, entre les tempes de neige, sous la longue mèche d’encre — bizarre quoique naturelle — retombant du sommet.

Toute défiance s’abolit chez Robert. Une fièvre, un enthousiasme le souleva, quand cet homme, l’associant à ses victorieuses chimères, lui dit, à lui, comme il eût dit à un égal :

— « Nous sommes en face d’une aventure formidable. »

Ils s’entretinrent une heure, l’esprit en fermentation, les yeux accrochés, les voix basses.

Rien ne les dérangea, sinon un bruit venu de la cour, un tapage d’écurie. Et ils prirent une distraction de quelques secondes à voir la peine des palefreniers, qui poursuivaient sur la pelouse le cheval de Nauders, — un puissant irlandais choisi pour porter le colosse, — cabriolant dans un accès de gaieté. Une fois, comme ils allaient le saisir, l’ayant acculé entre le mur et un groupe de marbre — une nymphe couchée sur un assez haut piédestal — il bondit par-dessus la nymphe, à la grande joie du financier.

— « Il est comme son maître : il ne boude pas l’obstacle » fit-il, en riant.

Robert s’écria :

— « En effet !… »

Il demeurait ébloui, déconcerté, par l’audace du projet que venait de développer Nauders. Mais quelque chose craquait en lui, s’effondrait, dans la stupeur de sa conscience. N’était-ce pas une immense machination criminelle ? Avait-on le droit de faire ce que voulait accomplir le banquier ? Tout son être protestait contre les subtils arguments. Toutefois quel dommage de condamner ce magnifique chevalier des luttes financières, ce combattant qui risquait bien plus qu’il ne faisait risquer aux autres, ce héros suivant la formule moderne ! Et quel déchirement à se séparer de lui !

— « Mon petit Clérieux, c’est à vous de réfléchir. Mais