Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/63

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pût pas se contraindre à penser d’elle tout le mal qu’il voulait ?

Cependant, il avait pris un fiacre, il avait donné une adresse, son adresse, à elle : square Lamartine. Elle occupait un petit hôtel particulier, dans ce joli coin verdoyant, paré d’un si beau nom.

Cela plaisait à Robert que cette créature de grâce, de délicate élégance, eût élu domicile dans un endroit où il fût agréable de l’évoquer. À se trouver là, dans l’atmosphère de Jocelyne, il éprouva un vague plaisir. Il renvoya son fiacre. Sa cigarette venait de s’éteindre. Il en alluma une autre, et commença de flâner en rêvant. De l’avenue Victor-Hugo à l’avenue Henri-Martin, autour des pelouses de la petite place déserte, du côté du bassin ou devant la statue, il erra, ne sachant pourquoi il se trouvait là, mais privé de toute envie, de s’en aller ailleurs.

« Pauvre Lamartine ! » dit-il mentalement à l’homme de bronze, « En ce lieu qui porte ton nom, c’est toi qui es l’objet le plus désagréable à voir. »

Il rit de nouveau. Sa gaieté revenait. À la longue, il comprit ce qu’il faisait là. Il attendait Jocelyne pour l’aborder et rentrer avec elle, afin de la protéger, si, par aventure, le personnage dont elle redoutait la rencontre s’était obstiné à l’attendre.

Voilà donc où aboutissaient les scènes si diverses qui l’avaient ému ce matin. Eh bien ! soit. Il ne cherchait plus, ne raisonnait plus. Son cerveau s’était mis à la torture. Et son cerveau, après tant de réflexions, n’était pour rien dans sa présence ici. « Allons, restons-y. Puisque, aussi bien, je ne puis pas faire autrement. »

Il était assez loin de la maison de Jocelyne, et il s’obstinait à y tourner le dos pendant une demi-minute, persuadé qu’il verrait alors la jeune fille à la première volte-face, quand le bruit d’une grille refermée vivement le fit regarder en arrière.

C’était la grille de Mlle Monestier, qu’un homme venait de tirer en sortant. Sur le haut, du perron, une personne d’un certain âge, l’air d’une vieille fille anglaise, qui n’avait pas accompagné le visiteur jusqu’au bas des