Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/76

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— Pourquoi le connaîtrais-je ? » demanda la jeune femme d’un ton vague, aussitôt corrigé d’ailleurs par la vivacité chaleureuse de ce cri :

— « Il est épatant !

— À quel point de vue ?

— Comment ! Mais regarde donc ce qu’il tient aux ongles. Voilà une heure que je frotte… Et cet admirable rouge persiste avec le brillant. Je t’en donnerai un pot, ma chérie.

— Ah !… j’avais cru que tu parlais de Gessenay.

— Bon ! » s’exclama l’autre en pouffant. « Tu n’es pas sérieuse, Jocelyne. »

Mais la nervosité de son rire ne l’anima pas longtemps. Presque aussitôt, la physionomie de Huguette changea. Une contraction crispa ses traits. Son teint de brune, déjà fatigué par une mauvaise hygiène, le noctambulisme et les maquillages, devint terreux. La mâchoire tomba, allongeant cette figure trop longue. Elle fut presque laide.

— « J’ai à te dire… » (Elle s’interrompit.) « Ah ! bien… j’en ai une tête ! Je fais peur, hein ? » questionna-t-elle en se penchant pour interroger le miroir.

— « Tu es un peu pâlotte.

— Oh ! quant à la pâleur, ça, je m’en fiche. Personne ne fait sa figure aussi bien que moi. Et il faut que je sois belle, ce soir. »

Une idée passa, restituant le charme à ce visage changeant. Les yeux de velours foncé semblèrent se dissoudre entre les longs cils, par l’effet d’une secrète extase. La jeune femme sourit. Tandis que, sous le nuage blanc du déshabillé, une palpitation soulevait son buste souple de fausse maigre.

— « Ce soir ?… » interrogeait son amie. « Ah ! oui… vous inaugurez votre loge, à l’Opéra.

— C’est-à-dire que c’est notre première « première », depuis que père s’est abonné. Et quelle première !… Une salle inouïe. On s’est battu pour en être. Mais devine qui vient d’accepter une place dans notre loge ?… dans notre superbe loge ?… »

Mlle Monestier éleva les sourcils en secouant la tête.