Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/78

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— On ne la provoque pas. Elle marche toute seule. Tu en sais pourtant quelque chose. »

La dernière phrase ne fut pas soulignée, mais jetée avec détachement, les yeux ailleurs. Huguette, sans cruauté voulue, sans perfidie, maniait l’arme commode, pour ne pas laisser prendre barre sur elle. Sa victoire s’affirma dans la pâleur et le silence de Jocelyne.

— « Je ne t’ai pas fait de peine, au moins ! » s’écria Mme de Gessenay, se précipitant pour l’embrasser. « D’ailleurs, laissons ces bêtises. J’ai autre chose, et très important, à te dire. »

Elle recula, se rassit, ajouta d’un seul trait :

— « Peux-tu me prêter soixante-dix mille francs ?

— Comment ? »

La stupeur, une inquiétude brusque, en pointe vive, suffoquaient Jocelyne. Elle essayait de rassembler sa pensée en déroute, tandis que son amie poursuivait :

— « Oui, vois-tu… Je me suis laissé un peu entraîner ces temps-ci. Cet hiver, la mode des fourrures mêlées aux dentelles a été folle. Tu penses comme ça va vite quand une peau de zibeline se paye mille francs, et qu’il en faut cinquante pour un manteau… Sans compter du vieux point de France… une occasion de reine… Alors, alors… voilà.

— Ah ! tu as des dettes ? »

La question sortit lentement, d’une intonation singulière.

— « Des dettes… Elles le deviendraient, si je ne payais pas. Des échéances, des factures qui traînent, quoi !

— Pourquoi ne les avoues-tu pas à ton père ? »

Huguette hocha la tête sans répondre.

— « Ce n’est pas ton père qui te ferait des reproches, voyons. Ni qui refuserait de payer.

— Tandis que tu refuses, toi ? » fit Huguette durement.

— « Mais, ma chérie, je ne peux pas faire ce que tu souhaites.

— Et pourquoi donc ?

— Je n’ai pas soixante-dix mille francs.

— Tu en as bien deux cent mille pour payer les expropriations, à ton chemin de fer ouvrier.