Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des rigueurs d’ostracisme, des tortures meurtrières, contre la vierge qui, dans un moment de folie tendre, a ouvert ses bras, son cœur.

— « Cependant… », commença Robert.

Il hésitait, — déconcerté, comme un homme l’est toujours devant un raisonnement de ce genre. Question pénible, gênante. Entre l’évidence philosophique, la logique des idées modernes, imposant une conception de plus large humanité, et l’antique prérogative du mâle, étayée sur la formidable assise de toutes les religions d’Orient, devenue un de ces instincts dominateurs plus forts que la raison, tout esprit masculin, même de bonne foi, n’écoute que le concert infini des voix ancestrales, et contient mal un méprisant dégoût.

Le cœur un peu étreint, et dans la hâte d’écarter un sujet dépoétisant Jocelyne, Robert essaya d’une vague interruption.

— « Oh ! mais », reprit -elle, « ne croyez pas que je proteste, ou que je veuille vous présenter quelque thèse d’émancipation féministe. Non, c’est le simple rappel d’un état de choses bien établi, qu’il importe d’avoir présent à la pensée pour suivre ce que j’ai à vous dire. »

De fait, le ton calme de Mlle Monestier excluait l’amertume des revendications agressives. Elle continua :

— « Je ne discute pas le juste ou l’injuste de la situation dans laquelle je me suis trouvée à une heure de ma vie. Cette justice ou cette injustice ne peuvent être mises en cause pour un seul cas particulier, surtout par moi, — insignifiante unité dans la foule immense de celles qui doivent subir. Je marque seulement — vous allez voir pourquoi — l’horreur d’une telle situation, celle de fille compromise, et compromise par un scandale retentissant. Cela constitue peut-être la chute sociale la plus humiliante pour une créature fière, le gouffre d’où il est le plus difficile de remonter, au fond duquel on sent peser sur soi quelque chose de plus terrible que des arrêts légaux, que des condamnations précises : un opprobre sans nom, sans voix, sans visage, — ou qui prend tous les visages, toutes les voix, et cruellement tous les sourires, et plus atrocement tout les silences.