Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/99

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vous jamais entendu cette affirmation : que j’étais la maîtresse de Nauders. N’avez-vous pas entendu pire ?

— Mademoiselle Jocelyne », s’écria le jeune homme avec chaleur, « il suffit de vous écouter, de vous voir, pour s’étonner que la calomnie vous effleure. N’y a-t-il pas un peu de votre faute ? Cette retraite où vous vous enfermez, cette discrétion à ne pas vous montrer avec les amis qui sont vos garanties morales, ce mystère dont vous entourez vos bonnes œuvres, jusqu’à leur constituer des capitaux anonymes, tout cela n’est-il pas excessif, et ne tourne-t-il pas un peu contre vous ? »

Mlle Monestier se redressa. Un éclair passa dans ses yeux. Ses narines palpitèrent.

— « Mais », prononça-t-elle, « qui vous dit que je me soucie de l’opinion ? Je la méprise trop pour souhaiter de la convaincre. Je vis pour moi, non pour elle.

— Vous en souffrez.

— Non.

— Enfin, vous n’êtes pas heureuse.

— L’êtes-vous, monsieur Clérieux ? »

Robert eut un haut-le-corps de surprise. Il ne put répondre spontanément. Toutefois, après deux minutes de réflexion, il répliqua lentement :

— « J’ai toutes les raisons pour l’être. Je crois que je le serais si j’avais plus de confiance en ma propre force.

— Et moi », dit-elle, « c’est en acquérant cette confiance dans ma propre force que j’ai pu faire face au destin le plus horrible pour une fille de vingt ans. Je ne vous ai pas apitoyé sur mes tortures. Elles dépassèrent ce que je pourrais peindre. Mais un secours m’est venu. J’ai levé la tête. Du fond du plus noir puits de misère, j’ai aperçu les étoiles du ciel.

— Quel était ce secours ? » demanda Robert.

Il se penchait en avant, comme attiré par un magnétisme. Sur son âme passaient des souffles de volonté héroïque. Rien qu’à l’accent de Jocelyne, il sentait une puissance de domination sur lui-même et les autres surgir des réserves secrètes de son caractère. Entre les mots que prononçait la jeune fille palpitaient ces émanations de personnalité quelles mots ne traduisent pas.