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Page:Lettre à Paul Gauguin, 3 octobre 1888.djvu/4

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Je crois que si dès maintenant vous commenciez à vous sentir le chef de cet atelier dont nous chercherons à faire un abri pour plusieurs, peu à peu, à fur et à mesure que notre travail acharné nous fournisse les moyens de compléter la chose – je crois qu’alors vous vous sentirez relativement consolé des malheurs présents de gêne et de maladie en considérant que probablement nous donnons nos vies pour une génération de peintres qui durera encore longtemps.

Ces pays ci ont déjà vu et le culte de Venus – essentiellement artistique en Grèce – puis les poètes et des artistes de la renaissance. – Là que ces choses ont pu fleurir l’impressionnisme le peut aussi.

Pour la chambre où vous logerez j’ai bien exprès fait une décoration, le jardin d’un poète (dans les croquis qu’a Bernard il y en a une première conception simplifiée ensuite). Le banal jardin public renferme des plantes et buissons qui font rêver aux paysages où l’on se représente volontiers Botticelli, Giotto, Pétrarque, le Dante et Boccace. Dans la décoration j’ai cherché à démêler l’essentiel de ce qui constitue le caractère immuable du pays.

Et j’eusse voulu peindre ce jardin de telle façon que l’on penserait à la fois au vieux poète d’ici (ou plutôt d’Avignon), Pétrarque, et au nouveau poète d’ici – Paul Gauguin.–

Quelque maladroit que soit cet essai vous y verrez tout de même peut-être que j’ai pensé à vous en préparant votre atelier avec une bien grosse émotion.

Ayons bon courage pour la réussite de notre entreprise et continuez à vous sentir bien chez vous ici.

Car je suis tellement porté à croire que tout cela durera longtemps.

Bonne poignée de main et croyez moi


t. à v.

Vincent


Seulement je crains que vous trouverez la Bretagne plus belle.– quand bien même, si ici vous ne verriez rien de plus beau que du Daumier, les figures d’ici sont d’un Daumier absolu souvent. Or pour vous, vous ne tarderez pas à découvrir au fond de toute la modernité l’antiquité et la renaissance qui dort. Or en tant que quant à celles là libre à vous de les ressusciter.

Bernard m’en parle que lui, Moret, Laval et un autre feraient un échange avec moi. je suis réellement en principe très partisan du système d’échanges entre artistes puisque je vois que cela prenait une place considérable dans la vie des peintres japonais, je vous enverrai conséquemment les études que j’ai de disponibles à l’état sec de ces jours ci et vous aurez le premier choix.

Mais avec vous je n’en échange aucune si de votre côté cela devrait vous coûter une chose aussi importante que votre portrait qui serait trop beau. Sûr je n’oserais pas. Car mon frère vous le prendra volontiers contre tout un mois.