Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’esprit ! de la finesse, de la force, de l’élévation, de la philosophie ! que le style en est vif, animé et rapide ! qu’il est rempli d’expressions heureuses ! que le ton, que le tour en est original ! En un mot, j’en suis vraiment charmée, et je le suis au point que, si je ne craignais de gâter votre plaisir, je vous en citerais dix traits plus piquants les uns que les autres. Mon ami, je vous recommande la page 44. Dites-moi, me trompé-je ? n’est-elle pas remplie de la sensibilité la plus exquise ? n’a-t-il pas ennobli les bienfaits et la reconnaissance ? N’exprime-t-il pas tous les sentiments qu’une âme sensible, élevée et passionnée aimerait à éprouver et à inspirer ? Enfin, mon ami, j’en suis si contente, que je voudrais que vous l’eussiez fait, et cependant je suis certaine que vous feriez mieux encore : vous iriez plus haut et vous n’auriez pas ses défauts. Mais prononcez vite : ai-je trop d’enthousiasme ? du moins il ne m’a pas été communiqué : je n’ai vu ni entendu personne. J’ai reçu cet éloge à neuf heures ; je mourais d’impatience d’être seule : je l’ai lu, et je vous rends ma première impression, au risque que vous ne me trouviez pas le sens commun. — Mais, mon ami, que rien ne vous dégoûte de me lire ce que vous faites : que je sois la servante de Molière, je ne discuterai rien ; mais je sentirai tout. — Oh ! qu’il y a de goût et d’esprit à avoir resserré votre sujet ! Dans la plus excellente tragédie, il y a des longueurs et de la langueur. Vous aurez évité ces deux défauts ; tout sera plein de chaleur et d’intérêt : on sera toujours soutenu par le sujet et l’action de la pièce. L’esprit de l’auteur ne paraîtra jamais, et l’âme et le génie de M. de G… rempliront et animeront tout. — Mon ami, pourquoi ce serment de ne pas me lire tout de suite et sur-le-champ