je ne vous ai vu, et j’en aurai autant avant minuit : cela me satisfait sans me tranquilliser… Mon Dieu ! haïssez-moi, je vous aime, et je me sens triste jusqu’à la mort. Non, ne me voyez pas ; allez à la Comédie, allez souper, allez au bal : tout est plein d’agrément et d’intérêt, et moi je vous ennuie ou vous attriste. Je vous mets trop près de vous-même ; je m’en occupe avec le trouble de la passion, et elle est si monotone, elle est si bête pour un homme du monde entraîné par les agréments d’une femme aimable qui ne lui offre que des plaisirs et de la dissipation ! Enfin, mon ami, tout cela prouve que vous avez autant de justesse que de justice, en ne m’aimant que faiblement ; je ne vaux que cela.
J’ai vu ce Loison, peintre. Il est beau lui-même à peindre ; il a quelque chose de sot, de niais et de fat, qui m’a tout à fait refroidie pour son talent. Cet homme-là ne sentirait jamais votre âme ; il peindrait vos traits, et il trouverait le secret de rendre votre figure sans intérêt pour moi. Cependant, comment cela se pourrait-il ? N’ai-je pas dans mon cœur de quoi animer la pierre et faire vivre la toile ? Mon ami, je ne veux rien y perdre : vous m’avez promis votre portrait ; je l’aurai donc, il me le faut. — Je ne suis point sortie ; je ne verrai personne qui me parle du bal : j’entendrai parler de M. Turgot, non pas avec l’intérêt qui m’anime, mais avec l’intérêt qu’on a pour la vertu, et par la crainte de son successeur. Pour moi, depuis deux jours, il n’est plus contrôleur général : il est M. Turgot, avec qui je suis liée depuis dix-sept ans, et, sous ce rapport, il agite et trouble mon âme.
Mon ami, si vous aviez été au Temple, si vous étiez débarrassé de vos visites au Marais, si vous aviez