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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/235

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nable, voici comment vous arrangeriez votre journée de demain : vous dîneriez au Temple, vous verriez là madame de Boufflers ; et puis, à six heures, vous viendriez ou à l’Opéra, ou ici : je vous le ferai dire. Je suis bien tentée de ne pas aller dîner chez le comte de C… ; il doit avoir, du moins il s’en flatte, M. Roucher. J’admire de toute mon âme son talent ; mais, l’emploi qu’il en a fait m’ennuie ; les diamants, l’or, l’arc-en-ciel, tout cela ne touche pas l’endroit sensible de mon âme ; un mot de ce que j’aime, son sommeil même, anime plus en moi tout ce qui sent et qui pense que toutes ces richesses factices. Mon ami, je veux vous voir aujourd’hui : venez avant souper. Demain je vous ferai dire si c’est à l’Opéra ou chez moi que je vous attendrai.

Allons, voilà qui est fait : je ne vous prêterai plus de manuscrits, puisque vous les faites promener ; il n’y a donc nulle sûreté avec vous. Enfin, malgré tous vos défauts, il vous reste la confiance, comme vous me le disiez hier, d’être encore bien recherché, bien aimé, et plus mille fois que vous ne pouvez, ni ne voulez y répondre. Bonjour, j’ai tort de vous écrire ; cela me répond presque que je ne vous verrai point. Il n’importe qui est-ce qui fournit au trésor royal ? il suffit qu’il ne soit pas vide. Mon Dieu ! qu’il est dommage qu’étant aussi aimable, vous méritiez aussi peu d’être aimé ! Bonjour encore, mon ami ; je ne suis pas fade, mais je suis peut-être trop vraie. Je ne sors aujourd’hui qu’à neuf heures du soir. Je parie que vous courez déjà. Il n’y a que trois choses dont vous ne connaissiez pas le prix, et que vous jetez par la fenêtre, votre temps, votre talent et votre argent, et de tout le reste vous en êtes avare.