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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/237

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minute, et de vous priver de la seule espérance du plaisir ; ne faites donc point d’effort, mon ami, encore moins de sacrifice : je vous verrai quand vous pourrez, et je vous désirerai toujours.

Pardonnez-moi de vous dire que je tremble que cette lettre ne se trouve dans les mains de la première personne qui voudra l’ôter des vôtres. Ce billet d’hier matin ! mon ami, plaignez-moi d’avoir à me défier de ce que j’aime à la folie, et du seul homme à qui je m’abandonne sans cesse. Adieu.



LETTRE LXXXIII

À midi, 1775.

Une conduite indigne et commune serait de vous laisser à votre colère, et à l’opinion que j’ai pu vouloir vous offenser. Mon ami, connaissez-moi mieux, et croyez que je ne saurais craindre, comme vous le dites, d’être compromise, ni même d’être trahie : songez donc que pour quelqu’un qui ne craint pas la mort, et qui loin de la craindre, n’a pas passé vingt-quatre heures, depuis six mois, sans trouver en soi le désir et la force de la prévenir : songez, mon ami, que dans cette disposition, mon âme ne peut connaître qu’une espèce de crainte, et elle tient à ma tendresse pour vous : je crains de vous déplaire ; je crains de vous affliger : mais, en honneur, je ne crains rien pour moi : car il y a des moments où je voudrais, au contraire, que vous me réduisiez au désespoir. Voyez si, après cela, je puis avoir ces petites