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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/239

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au pis toute la nature ; je me sens si forte, et en même temps si faible, que je vous demande du fond de mon âme ou d’achever de m’accabler, ou de venir à mon secours. Adieu, mon ami.

Je ne vous dis pas : venez me voir, mais je vous avertis seulement que je ne ferai rien de ce que j’avais projeté : je rentrerai à cinq heures, et si je savais où vous dînerez, j’irais vous prendre. J’envoie chez vous, mais vous n’y serez pas ; si vous daignez me répondre, je donne ordre qu’on m’apporte votre lettre chez madame de Meulan, où je dîne.



LETTRE LXXXIV

Onze heures, 1775.

Depuis deux heures, j’attends ; enfin la voilà cette brochure. Souvenez-vous donc que l’Éloge de la raison vous a fait plaisir ; ne revenez pas sur cet avis. Mon ami, en prêchant la modération, votre zèle vous emporte, et il n’y a guère de conversation où vous n’ayez à vous reprocher de vous être compromis sans avoir fait aucune conversion ; mais, comme je ne serais pas plus heureuse que vous, je finirai là mon sermon, et je vous dirai que je serai ravie de vous voir. Venez de bonne heure. Songez qu’il y a huit jours que je ne vous ai vu. Devinez si je suis bien charmée de votre billet. Mon Dieu ! pourquoi mettez-vous tant d’intérêt et de chaleur à m’accabler, à me faire trouver inconséquente et absurde ; et puis, pourquoi êtes-vous de glace pour aller à mon âme ? Ah ! pourquoi ? c’est que vous êtes vrai : c’est que, si